Productivité Agricole : Des Motifs D’inquiétude (I) Les .

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N 7 - Juillet 2013Productivité agricole : des motifs d’inquiétude ?(I) Les conceptsMathilde Douillet et Pierre Girard, FARMPour renforcer la sécurité alimentaire mondiale et augmenter les revenus et l’emploi dans les pays endéveloppement, la plupart des experts et des décideurs politiques appellent à accroître, de manière durable, laproduction et la productivité de l’agriculture. La nécessité d’augmenter la production fait quasiment consensus.Mais quelles sont exactement les raisons qui incitent à améliorer la productivité agricole ? Les inquiétudesexprimées à son égard (ralentissement de la croissance des rendements, impact négatif sur l’environnement ouencore réduction du nombre d’exploitations) sont-elles justifiées ? Compte tenu de l’ampleur du sujet, FARM adécidé d’y consacrer deux numéros de Notes. Le premier (Notes no 7) explore le concept de productivitéagricole, ses déterminants et ses limites. Le second (Notes no 8) examinera les principales préoccupations liées àla productivité agricole et mettra en perspective les débats qu’elle suscite.Sera-t-on capable de nourrir correctement, à longterme, tous les habitants de notre planète ? Environ870 millions de personnes, soit 12 % de la populationmondiale – proportion qui monte à 27 % en Afriquesubsaharienne - sont aujourd’hui sous-alimentées(FAO 2012a). Or les experts prévoient un fortaccroissement de la demande en raison del’expansion démographique et de l’évolution desrégimes alimentaires, liée à la progression desniveaux de vie et à l’urbanisation. Ces inquiétudessont accentuées par plusieurs facteurs, dont la prisede conscience de la raréfaction des ressources(notamment la terre, l’eau et les énergies fossiles), leseffets négatifs du changement climatique sur laproduction agricole, les dommages causés à la santéhumaine et aux écosystèmes par les excès del’agriculture intensive, ainsi que la montée enpuissance des biocarburants. La forte hausse etl’amplification de la volatilité des prix de la plupartdes produits agricoles depuis le milieu des années2000 avivent encore les craintes, même si certainsdoutent que cette hausse soit durable (Westhoff2013).Face à ces appréhensions, de nombreuses initiativespolitiques misent sur la croissance de la production etde la productivité agricoles. Ainsi, le Plan d’action duG20 sur la volatilité des prix alimentaires et surl’agriculture, rendu public en juin 2011, souligne « lanécessité d’augmenter la production agricole et laproductivité dans une approche durable ». Lancée en2012, l’initiative « Faim zéro » du secrétaire desNations unies, Ban Ki-moon, retient l’objectif de« 100 % d’augmentation de la productivité et desrevenus des petits exploitants » comme l’un des cinqpiliers pour éradiquer la faim dans le monde. Or, si lanécessité d’accroître la production agricole enrespectant davantage l’environnement faitpratiquement consensus, en revanche, l’impératifd’améliorer la productivité agricole est moinsévident. De quoi parle-t-on exactement ?L’augmentation de la production agricole résulte dela combinaison de deux éléments : la quantité defacteurs de production (terre, capital, travail)mobilisée et l’amélioration de l’efficacité aveclaquelle ces facteurs sont utilisés, grâce au progrèstechnique et organisationnel ou suite à une meilleurequalification de la main d’œuvre. La productivitémesure le second élément, c’est-à-dire l’efficacité duprocessus de production.Une hausse de la productivité peut, en théorie,accroître à la fois le revenu des producteurs et lepouvoir d’achat des consommateurs, grâce à la baissedes coûts de production unitaires. Elle stimule laproduction et la consommation et constitue, de cefait, un moteur majeur de la croissance économiqueet de la progression du niveau de vie à moyen terme.Augmenter la productivité agricole est un enjeuFARM - Note n 7 - Juillet 2013

crucial pour beaucoup de pays en développement, oùun grand nombre d’actifs travaillent dansl’agriculture et où l’alimentation absorbe une partélevée du revenu des ménages. Dans ces conditions,on comprend que les observations suggérant unralentissement de la croissance des rendements dansle monde, ou du moins dans les pays développés,suscitent un certain alarmisme dans l’opinion et chezles responsables politiques. D’autant que,parallèlement, dans une perspective dedéveloppement durable, beaucoup d’experts doutentde la possibilité de concilier l’augmentation de laproductivité agricole, telle qu’elle a été réaliséejusqu’à présent, avec la conservation des ressourceset de la biodiversité, voire avec la qualité de la viehumaine.Ces craintes sont-elles justifiées ? Accroître laproductivité agricole est-il un objectif politiquepertinent et susceptible de répondre aux défis dudéveloppement et de la sécurité alimentaire ? Comptetenu de l’ampleur du sujet, FARM a décidé d’yconsacrer deux numéros de Notes. Le premier,Notes no 7, explore le concept de productivitéagricole, ses déterminants et ses limites. Le secondnuméro, Notes no 8, analysera les principalespréoccupations liées à la productivité agricole etfournira, sinon des éléments de réponse, du moinsune mise en perspective des débats qu’elle suscite. Des définitions multiplesLa production agricole dépend du contextepédoclimatique, mais aussi des technologiesdisponibles (variétés de semences végétales et racesd’animaux, engrais, pesticides, équipements ), despratiques agricoles (préparation du sol, mode deconduite des cultures et des troupeaux ) et despolitiques publiques qui affectent directement ouindirectement l’activité des agriculteurs, par leurorientation économique générale (taux d’intérêt, tauxde change des monnaies, mesures commerciales )ou spécifiquement agricole (soutien des prix et desrevenus, aides à la gestion des risques et descrises ). La productivité agricole mesure doncl’efficacité de l’utilisation des facteurs de production(terre, capital, travail) dans un milieu agroécologique et un contexte politique et socioéconomique donnés.Il existe plusieurs indicateurs de productivité. Laproductivité totale des facteurs reflète l’efficacité del’utilisation de l’ensemble des facteurs de production,considérés globalement. La productivité de la terre etdu travail agricole sont les deux indicateurs deproductivité partielle les plus utilisés, même si l’onpeut aussi calculer la productivité des consommationsintermédiaires ou du capital investi en agriculture.La productivité totale des facteursConcept fondamental en économie, la productivitétotale des facteurs (PTF) est égale à la productiontotale divisée par la quantité totale de facteurs deproduction mobilisée. En agriculture, les facteurs deproduction comprennent la terre, le travail, le capital« physique » (infrastructures, machines agricoles,etc.) et les intrants (eau, semences, engrais, produitsphytosanitaires, etc.). Peut s’ajouter à cette liste lecapital « humain » (éducation, santé).Si les experts s’intéressent tant à la PTF, outre le faitqu’elle constitue l’indicateur le plus pertinent del’efficacité de la production agricole, c’est parcequ’elle est devenue, au niveau mondial, le moteurprincipal de la croissance de la production agricole.Depuis les années 1990, en effet, la hausse de laproduction agricole s’explique davantage par laprogression de la PTF que par l’augmentation de laquantité de facteurs de production, selon les analysesde Fuglie, Wang et Ball (2012) (figure 1).Sur le plan méthodologique, l’agrégation des donnéesde production pour différents types de produitsagricoles et différents facteurs de production rendnécessaire le choix d’une unité de mesure commune.Le recours à une unité de volume n’est possible quesi l’on s’intéresse à une même famille de produitsFigure 1. Taux de croissance annuel de la production agricoleet de la productivité (%)Source : Keith O. Fuglie, Sun Ling Wang and V. Eldon Ball (2012)(par exemple les céréales ou les engrais), ce qui nepermet pas d’additionner l’ensemble des productionset des facteurs de production. C’est pourquoi Fuglie,Wang et Ball (2012), comme la majorité deschercheurs, raisonnent en termes monétaires.L’agrégation des données repose alors sur un indicede prix pour la production agricole et un indice decoût pour les facteurs de production. Pour chaqueproduit agricole, Fuglie et al (2012) utilisent un prixFARM - Note n 7 - Juillet 20132

de référence international calculé à partir du prixobservé sur le marché domestique, modulé par letaux de change en parité de pouvoir d’achat (afin detenir compte des différences de niveau de vie entrepays) et la part de ce produit dans la productionagricole totale du pays considéré. Pour chaquefacteur de production, l’indice de coût est calculé, demême, à partir d’un prix de référence international etde la part du facteur de production dans le coût totalde production. Enfin, pour étudier les évolutionsquantitatives de la productivité, il faut s’affranchirdes variations de prix et raisonner pour cela à prixconstants.Le calcul de la PTF est donc délicat. Nous verronspar la suite que les méthodes employées comportentplusieurs limites qui, d’un point de vue pratique,rendent ce concept difficile à manier.La productivité de la terreLa productivité de la terre est dite partielle car elleconsidère l’évolution de la production agricole àl’aune du changement d’utilisation d’un seul facteur,en l’occurrence le foncier.Elle se calcule en divisant la production agricole parla quantité de terre exploitée (en général, une surfaceexprimée en hectares). La production agricole utiliséepour le calcul inclut généralement la production del’ensemble des cultures réalisées sur une mêmeparcelle au cours d’une année. Ce point est important,car les agriculteurs, dans les pays tropicaux, fontsouvent, en une année, plusieurs récoltes sur la mêmeparcelle. Il faut donc bien différencier la productivitéde la terre du rendement de la terre, qui mesure laproduction d’une seule culture au cours d’un seulcycle de production.Pourtant, beaucoup d’auteurs emploient à tort leterme de « productivité » comme synonyme de« rendement ». Cette confusion tient sans doute aufait que l’augmentation des rendements a été lemoteur de la croissance de la production alimentairemondiale durant les cinquante dernières années(IFPRI 2013).La productivité de la terre peut être évaluée enexprimant la production agricole en valeur monétaire.Cela n’est pas sans poser problème, surtout si l’onveut faire des comparaisons internationales etpluriannuelles. Une alternative originale consiste àprendre comme unité commune la calorie(Agrimonde 2010). Toutes les productions végétalesdestinées à l’alimentation des hommes et desanimaux sont alors converties en calories.On obtient ainsi un tableau global de la production,mais aussi des échanges et de la consommation desbiomasses alimentaires. Selon Dorin (2012), laquantité de calories végétales alimentaires produitepar hectare cultivé dans le monde, sur la période2005-2007, varie en moyenne de 1 à 4 selon lesrégions : elle atteint 7 700 kcal/ha/jour en Océanie et29 800 kcal/ha/jour en Asie.La productivité de la terre, mesurée en caloriesvégétales par hectare cultivé, n’est pas forcémentmoins élevée dans les pays en développement quedans les pays développés. Elle est légèrement plusforte en Asie qu’en Europe. En Amérique latine, elleest à peine inférieure à celle de l’Amérique du Nord.Le continent africain est à la traîne, mais il produit enmoyenne plus de calories végétales par hectarecultivé que l’ex-Union soviétique et l’Océanie.La productivité du travailLa productivité du travail est un autre indicateur deproductivité partielle, calculé en divisant laproduction par la quantité de travail utilisée. Celle-ciest exprimée généralement en nombre d’actifs ou ennombre d’heures travaillées.Les écarts de productivité du travail agricole dans lemonde sont beaucoup plus élevés que les écarts deproductivité de la terre. Là réside la principaledifférence entre pays développés et pays endéveloppement. Si l’on considère les culturesalimentaires, sur la période 2005-2007, un actifagricole produisait en moyenne 12 200 kcal végétalespar jour en Afrique subsaharienne contre près de1,8 million kcal végétales par jour en Amérique duNord, soit un ratio de 1 à 146 (Dorin 2012).Les différences de productivité du travail agricolereflètent les écarts existant à la fois entre la surfacecultivée par actif agricole, qui varie de 1 à 165 entrel’Asie et l’Océanie, et la production moyenne parhectare cultivé, qui oscille, comme on l’a vu, de 1 à 4entre l’Océanie et l’Asie (en équivalent caloriesvégétales). Les niveaux beaucoup plus élevés desurface cultivée par actif agricole dans les paysdéveloppés sont la conséquence de leur mode depeuplement (Amérique du Nord, Océanie) et de leurhistoire économique, marquée depuis plus de deuxsiècles par un transfert massif de population active del’agriculture vers l’industrie et les services.La hausse de la production par actif agricole a jouéun rôle majeur dans l’augmentation de la productionFARM - Note n 7 - Juillet 20133

agricole mondiale. En effet, d’après les données de laFAO, même si la population agricole active continuede progresser à l’échelle mondiale ( 0,1 % par an enmoyenne depuis 10 ans), elle croît à un rythme trèsinférieur à celui de la production ( 2,5 % par an). Deplus, le nombre d’actifs agricoles ne cesse dediminuer en proportion de la population mondiale. En1980, chaque agriculteur devait nourrir en moyenneune personne ; aujourd’hui, il en alimente presquetrois.Des indicateursexplicativesavecdifférentesportéesLa productivité totale des facteurs est sans contestel’indicateur le mieux adapté pour évaluer l’efficacitéglobale du processus de production. Elle seuleinforme sur la part de la croissance de la productionimputable aux innovations, c’est-à-dire au progrèstechnique et organisationnel, et à l’amélioration de laqualification de la main d’œuvre.Les productivités partielles sont d’une portée limitée.Ainsi, sur la base des seules données d’augmentationdu rendement du riz dans la vallée du fleuve Sénégal,il n’est pas possible de distinguer dans quelle mesurecelle-ci résulte de l’intensification de la culture (plusd’intrants, d’équipements agricoles ou de travail parhectare), de changements technologiques (commel’emploi d’engrais de meilleure qualité ou de variétésde semences mieux adaptées au milieu) oud’innovations organisationnelles (commel’application plus précise des engrais ou une gestionplus fine de l’irrigation).De même, une hausse de la productivité du travailagricole ne renseigne en rien sur ses causes :progression des rendements, augmentation de lasurface cultivée par actif, meilleur savoir-faire de lamain d’œuvre ou encore accroissement du capital del’exploitation, sous la forme de machines etd’équipements. Il existe d’ailleurs une fortecorrélation entre le stock de capital par actif agricoleet la productivité du travail agricole (FAO 2012b).Pour ces raisons, les productivités partielles sontparfois appelées « productivités apparentes », carelles englobent toute une série d’effets et ne peuventpas isoler l’impact de l’efficacité d’utilisation dufacteur considéré. Seule la PTF mesure cetteefficacité, pour l’ensemble des facteurs de productioncombinés.Il reste que pour des raisons pratiques, dues auxdifficultés d’évaluation de la PTF, les productivitésde la terre et du travail sont souvent les indicateursles plus utilisés pour comparer le niveau deproductivité de différentes agricultures. Les principaux déterminants del’évolution de la productivité agricoleL’analyse économique des causes de la croissanceagricole distingue la part due à l’évolution desvolumes de ressources mobilisés pour produire (terre,eau, intrants, travail, capital), de la part due àl’amélioration de l’efficacité d’utilisation de cesressources dans le processus de productionFigure 2 : Les sources de la croissance agricole et les leviers d’amélioration de la productivité41. Le PIB (produit intérieur brut) agricole est la valeur ajoutée du secteur agricole.2. Les termes de l’échange sont égaux au ratio entre l’indice des prix et des services agricoles et l’indice des prix et des services non agricoles. Ainsi,si les prix agricoles progressent plus vite que l’inflation, le PIB agricole augmentera même si le volume de la production agricole reste stable.FARM - Note n 7 - Juillet 2013

(productivité totale des facteurs) (figure 2). SelonFuglie et Rada (2013), on peut jouer sur plusieursleviers pour accroître la PTF : la recherche et lavulgarisation, la formation en milieu rural, la qualitédes ressources, les infrastructures et les institutions. Ilest utile d’examiner la situation actuelle dans uneperspective historique pour bien comprendre lesprincipaux déterminants de la productivité agricole.L’innovation, source majeure d’augmentation dela productivitéSelon la théorie économique, la productivité(partielle ou totale) des facteurs croît essentiellementgrâce à des innovations techniques etorganisationnelles (Mounier 1992). Pour que cesinnovations aient des effets sur la productivité,encore faut-il qu’elles soient adoptées à grandeéchelle par les agriculteurs, ce qui dépend desmoyens alloués pour leur diffusion (via des servicesd’appui-conseil public ou privé, des groupements deproducteurs ou des firmes), de l’intérêt que lesagriculteurs ont à les adopter et de leur capacité à lesmettre en œuvre (niveau d’éducation, moyensfinanciers, aides publiques, etc.).L’innovation peut être le fruit des paysans euxmêmes (innovation endogène) ou des institutions derecherche-développement (innovation externe).Toutes les agricultures du monde ont intégré unecombinaison d’innovations endogènes et externes.Dans le cas de l’Europe, particulièrement biendocumenté, celles-ci se sont traduites par des sauts deproductivité considérables, caractérisant des« révolutions agricoles ». La première révolutionagricole prend son essor à la fin du 18ème siècle, enAngleterre, avec l’introduction des culturesfourragères, plus productives que les pâturages,permettant une intensification de l’élevage, c'est-àdire une augmentation de la production de lait et deviande par hectare, ainsi qu’une mise en culture desjachères. La deuxième révolution agricole démarre àla fin du 19ème siècle, grâce aux innovationstechniques conçues avec l’appui de la recherchedéveloppement (mécanisation, sélection de racesanimales et de semences végétales plus performantes)et avec un recours croissant à des intrants chimiques(engrais minéraux, produits de traitement contre lesadventices, les ravageurs et les parasites). Enfin, la« Révolution verte » marque l’extension de cemodèle aux pays en développement, à partir desannées 1960 (Roudart et Mazoyer 2007). D’autresauteurs englobent la Révolution verte dans ladeuxième révolution agricole et distinguent unetroisième révolution, fondée sur le développementdes biotechnologies associées à de nouvellespratiques de travail du sol, telles que les techniquesculturales simplifiées (Regnault et al. 2012).La sélection variétale, facteur clé de la croissancedes rendementsC’est l’augmentation des rendements des cultures quiest responsable, pour une grande part, de la hausse dela productivité de la terre à l’échelle mondiale. Cettehausse est liée à la focalisation de la recherchepublique et privée, depuis le début du 20ème siècle,sur la sélection de semences végétales et de racesanimales à haut potentiel de production. Ainsi, depuisles années 1950, la recherche agricole a privilégié, enFrance, des variétés homogènes et stables,susceptibles d’être cultivées sur des aires trèsétendues tout en gardant un rendement élevé, dans lebut de constituer des marchés suffisamment largesqui soient à la fois plus profitables pour lessélectionneurs et plus simples à piloter pour l’État(Bonneuil et Thomas 2012). C’est le modèle qualifiéaujourd’hui de « productiviste » (dans le sens où laproduction est donnée comme objectif premier) et« conventionnel » (dans le sens où ce modèle estdominant par rapport aux autres).Le travail de sélection génétique a permis auxagriculteurs de s’abstraire de la diversité desconditions locales de culture. Le recours aux intrantsde synthèse et éventuellement à l’irrigation étaitindispensable pour exprimer pleinement le potentielde rendement variétal, suivant un itinéraire techniqueunique ou très simplifié. En retour, cetteuniformisation des systèmes de cultures a favorisé ledéveloppement de la mécanisation. Ayant fait leurpreuve pour l’augmentation de la production agricoledans les pays développés, ces « paquetstechniques » (semences/intrants) ont été peu à peufournis aux agriculteurs dans d’autres pays par lesdistributeurs, les agences de développement etcertaines organisations non gouvernementales. Leurdiffusion a rencontré des succès inégaux selon lesespèces cultivées et les contextes naturels et socioéconomiques. Au final, seuls quelques millionsd’agriculteurs ont été touchés par cette révolutionagricole, mais la production agricole, en Asie et enAmérique latine, a fortement progressé.Aujourd’hui, ce modèle de croissance de l’agricultureest remis en cause en raison des risques qu’il posepour la santé humaine et l’environnement, de saconsommation d’énergies fossiles et de ce quecertains considèrent comme une dépendanceexcessive des agriculteurs à l’égard des intrantsexternes. De nombreuses alternatives voient le jour,visant non plus à gommer les spécificités des terroirsFARM - Note n 7 - Juillet 20135

et des écosystèmes, comme cela a été fait jusqu’àprésent, mais à en tirer parti pour augmenterdurablement la production agricole. Ces alternativesreposent sur des innovations techniques etorganisationnelles conçues à partir d’unecompréhension plus fine des milieux vivants etimpliquant une réorientation plus ou moins marquéedes objectifs de sélection génétique (Griffon 2011 et2013). L’efficacité et la viabilité économique desapproches agro-écologiques sont sujettes àdiscussion, d’autant que ces approches sont diverseset ne sont pas forcément en rupture radicale avec lesméthodes d’intensification conventionnelle, commele montre la diffusion de l’agriculture deconservation, stimulée, aux Etats-Unis et enAmérique latine, par l’adoption des plantesgénétiquement modifiées. Le débat est vif en ce quiconcerne les pays en développement, en particuliercertains pays d’Afrique subsaharienne où les voiesd’intensification conventionnelle sont loin d’avoir étécomplètement explorées. L’élaboration de référencestechnico-économiques fiables est l’un des enjeux del’impulsion donnée par le gouvernement français àl’agro-écologie (Ministère de l’Agriculture 2012).agricole de cultiver des surfaces de plus en plusgrandes. La progression de la mécanisation aentraîné, dans la céréaliculture européenne, des sautssuccessifs de productivité du travail (figure 3).La figure 3 illustre également les niveaux trèshétérogènes de productivité du travail qui coexistentaujourd’hui dans le monde, selon le degréd’équipement et le système de culture. Le contrasteest frappant entre le paysan africain cultivant descéréales manuellement et les agriculteurs européens,argentins, américains ou australiens équipés detracteurs très puissants et qui exploitent jusqu’àplusieurs centaines d’hectares par actif. Dans lesrégions les plus favorisées, sur la base de200 hectares par actif et d’un rendement moyen de10 tonnes par hectare, la productivité brute peutatteindre 2 000 tonnes de céréales par actif (Mazoyer2011). En culture manuelle, en revanche, la surfacepar actif dépasse rarement 1 hectare et le rendement,1 tonne par hectare, soit une productivité brute de 1tonne par actif. Ainsi, dans ces cas extrêmes, l’écartde productivité peut être de 1 à 2 000.Il est clair que l’extension de la surface cultivée paractif n’est pas possible ou souhaitable dans tous lescontextes, ce qui pose la question des trajectoiressocialement acceptables d’évolution de l’agricultureA l’échelle mondiale, la productivité du travail dans les pays en développement, notamment enagricole a augmenté du fait de la croissance des Afrique subsaharienne, caractérisée par une forterendements des cultures, mais aussi grâce à la hausse expansion démographique (voir Notes no 8). Lade la surface exploitée par agriculteur, liée à la question se pose également dans certains paysmotorisation et la mécanisation (Roudart et Mazoyer développés, où la poursuite de la baisse des emplois2007). Celles-ci permettent en effet à un actif agricoles est remise en cause au nom des fonctionsnon marchandes de l’agriculture, commeFigure 3. Evolution de la productivité du travail en culture céréalièrel’occupation du territoire (Butault etau XXème siècle en EuropeRéquillart 2012), ou enraison del’engouement pour les circuits courts,connectant citadins et producteurs.La mécanisation, vecteur de l’augmentation de laproductivité du travailLe rôle prépondérant des politiquespubliques et de la rechercheSource : d’après Roudart et Mazoyer (2007)On observe aujourd’hui de très grandesdisparités entre les productivités agricolesdans le monde. Elles sont déterminées enpremier lieu par la variété des conditionspédoclimatiques et les différences dedisponibilité et de qualité des ressourcesnaturelles. Selon Petit (2011), un facteurexplicatif de la faible hausse des rendementsen Afrique subsaharienne est l’abondancerelative de la terre et du travail. Celle-ci aincité les paysans de cette région à accroîtrela surface cultivée totale et à recourir à despratiques culturales et des technologiesemployant beaucoup de main d’œuvre,FARM - Note n 7 - Juillet 20136

plutôt qu’à intensifier les cultures. Néanmoins,depuis le début des années 1960, la productivité dela terre, exprimée en calories végétales produites parhectare cultivé, a augmenté en Afriquesubsaharienne, alors que la surface cultivée par actifa diminué, en raison de l’expansion démographique(Dorin et al. 2013).Les politiques publiques jouent également un rôleprépondérant. D’abord, de par leur orientationéconomique générale : dans beaucoup de payspauvres, en particulier africains, les gouvernementsont longtemps pénalisé l’agriculture par des taux dechange surévalués, une forte protection douanièresur les produits industriels, des taxes surl’exportation de produits agricoles et une faible partdes dépenses publiques dédiée à l’agriculture, signemanifeste d’un « parti pris » urbain (Banquemondiale 2008). Ces orientations ont sans doutesensiblement freiné l’augmentation de la productionet de la productivité de l’agriculture dans les paysconcernés.L’impact de la politique commerciale estcontroversé. Selon les organisations internationales,la libéralisation des échanges peut stimuler lacroissance de la productivité (Interagency Report2012). Mais beaucoup d’experts et de responsablespolitiques soulignent les risques liés à l’ouverturedes marchés des pays pauvres aux exportationsagricoles des pays développés, vu les énormes écartsde productivité du travail indiqués plus haut(Dufumier 2009). Cet argument justifie, souscertaines conditions, le maintien voire lerenforcement des protections à l’importation sur lesproduits agricoles dans les pays les moins avancés,voire dans les pays émergents comme l’Inde quicomprennent un grand nombre de paysans pauvres.Les politiques agricoles ont des effets divers, selonleur contenu. Elles peuvent influer sur la taille desexploitations, via par exemple le contrôle desstructures et le statut du fermage pratiqués enFrance. Surtout, elles sont susceptibles de favoriserl’adoption par les agriculteurs des innovations issuesde la recherche, en contribuant à stabiliser les prixet/ou les revenus agricoles et en créant ainsi un cadrepropice aux investissements. La stabilisation desrevenus agricoles peut également provenir departenariats public-privé en matière de gestion desrisques, comme c’est le cas pour l’assurance récolte,particulièrement développée en Espagne, aux EtatsUnis et en Inde, et à un moindre degré au Brésil(Perrin-Janet 2013), mais encore embryonnaire enAfrique subsaharienne.Le soutien public à la recherche-développement(R&D) fait l’objet, parmi les experts, d’une attentionparticulière. On constate un quasi-consensus (voirpar exemple Alston et al. 2010) sur l’existence d’unlien positif entre les investissements dans la R&D etl’augmentation de la productivité agricole, même s’ilfaut en général beaucoup de temps avant que larecherche ait un impact sur la productivité. Fuglie etal. (2011) ont mis en évidence, pour les Etats-Unis,une forte corrélation statistique entre les dépenses deR&D et la croissance de la productivité agricole.Cette focalisation sur le rôle de la recherche ne doitpas faire oublier que le manque d’accès au crédit etl’inadéquation des infrastructures de marché,notamment, limitent considérablement l’intérêt et lacapacité des agriculteurs à adopter de nouvellestechniques et des modes de gestion plus performants.L’investissement public dans les dispositifs d’appuiconseil, d’éducation et de formation professionnelleest peut-être encore plus déterminant pourl’amélioration de la productivité agricole.Malheureusement, en Afrique de l’Ouest, à cause dudésengagement des Etats survenu dans les années1980 et 1990, les organisations de producteursdoivent souvent compter uniquement sur leurspropres moyens pour mettre en place des dispositifsde conseil aux exploitations agricoles (Girard 2013). Les limites des indicateurs deproductivitéLes indicateurs de productivité agricole sontmultiples et complémentaires. Cependant, en raisonde leurs limites conceptuelles et méthodologiques,ils ne permettent pas de comprendre, à eux seuls,l’évolution des systèmes agraires. Par ailleurs, si laformation des gains de productivité est une questionmajeure, leur répartition entre les différents agentséconomiques est également très importante, bienqu’elle soit beaucoup moins étudiée.Des limites méthodologiquesUne faible disponibilité et fiabilité des donnéesLe manque de disponibilité et de fiabilité desdonnées es

principal de la croissance de la production agricole. Depuis les années 1990, en effet, la hausse de la production agricole s’explique davantage par la progression de la PTF que par l’augmentation de la quantité de facteurs de production, selon les analyses

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