La Ville-censure

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la ville-censure

Editions Anthropos, Paris, 1971

société et urbanismeALAIN MEDAMla ville-censurePréface d'ANATOLE KOPP15, rue Racine, PARIS 6

PREFACEA la place des créateurs géniaux de jadis —ClaudeNicolas Ledoux, Le Corbusier —imaginant seuls la villedans sa totalité, nous disposons aujourd'hui en France etdans le monde d'importants organismes d'études et deréalisations où collaborent de nombreux techniciens dediverses disciplines.Ces «équipes pluridisciplinaires » qui tentent defonder leurs travaux sur des données objectives scientifiquement établies, voire traitées par les ordinateurs les plusmodernes, se substituent de plus en plus à l'homme seulqui, il y a peu de temps encore, composait —sur le papiertout au moins—l'ensemble, la ville, la région. sur lepapier et même dans la réalité parfois comme en témoignent, chacune à sa manière, les Salines de Chaux à Arcet Senans, Chandigarh ou Brasilia.Et l'on a pu croire pendant un temps que leremplacement de l'homme —de l'architecte créateur, subjectif et inspiré —par l'équipe pluridisciplinaire rigoureuseet scientifique, permettrait de résoudre les problèmesposés par le développement urbain. Mais on constateaujourd'hui que cette division du travail n'apporte enelle-même aucun changementfondamental à la conception

et à la réalisation des ensembles urbains. Il ne s'agittoujours —que l'on soit un ou plusieurs - que d'établir unprogramme, puis de le réaliser, c'est-à-dire en définitive dejuxtaposer à la ville existante un nouveau morceau deville à venir.Ce nouveau morceau a pu être conçu suivant lesprincipes édictés par la Charte d'Athènes (ceux qui nel'ont jamais lue prétendent qu'elle est la cause de l'ambiance déprimante de tant d'ensembles nouveaux, enisolant spatialement les fonctions les unes des autres). Il apu être conçu, au contraire, en essayant de mêler dansl'espace le travail et le repos, la culture et l'habitat. Cetteadjonction a même pu être envisagée comme étant «évolutive », c'est-à-dire permettant —théoriquement aumoins —de s'adapter dans l'avenir à des besoins encoreinconnus. Quelle que soit la méthode ou, plus souvent, leslogan adopté, le résultat est toujours le même : lajuxtaposition à ce qui existe d'une extension plus oumoins bien agencée, sans que jamais cette extension soitressentie ni vue comme une continuation organique del'espace urbain.Le livre d'Alain Medam va-t-il, d'un coup, d'un seulapporter la recette de cette intégration ? Est-il comme le«mode d'emploi» de l'urbanisme à notre époque? Ilserait prétentieux, trompeur et naif de l'imaginer. Ilapporte pourtant l'une des clés indispensables à la compréhension de l'échec de la création urbaine contemporaine, échec relatif ou absolu, grave ou mineur, maisgénéral —vérifié à l'échelle de la planète - et presqueindépendamment des systèmes sociaux et politiques.L'urbaniste, le concepteur de la ville, prend auXXème siècle une dimension nouvelle. Il est contemporainde l'accroissement gigantesque et brutal des besoins enespace bâti qui découlent tout à la fois du développementéconomique comme de la poussée démographique. Certesdes urbanistes avaient déjà existé ; les Romains avaientainsi exporté à travers le monde leurs plans types et leurs

méthodes de construction. Nous laisserons pourtant cesexemples lointains pour parler seulement de l'époque quiprécède immédiatement la nôtre, lorsque les maladiesurbaines, qui éclatent aujourd'hui, se sont insidieusementintroduites dans l'environnement.Qu'est-ce qui est caractéristique de l'urbanisme de lapremière moitié du XXème siècle, qu'il s'agisse de grandscréateurs comme Toni Garnier ou Le Corbusier, ou deceux, plus nombreux, et déjà anonymes, dont l'effort nepeut se mesurer qu'en nombre de mètres cubes de bétoncoulé ? Il semble bien que ce soit l'idée qu'un quartier,qu'une ville, puisse se concevoir comme on conçoit unproduit fini, définitif et immuable, réalisé globalement,dans son ensemble et en une seule fois, et ne ménageantaucune transition dans le temps entre le début desopérations et leur fin.On peut penser que le «Plan voisin » de Le Corbusier, s'il avait été réalisé en une nuit, d'un coup debaguette magique, aurait été pour ses habitants un cadrede vie éminemment agréable. Sans doute le plan d'Agler,conçu par le même Le Corbusier, était-il plus satisfaisantpour l'esprit que l'organisation spontanée qui a proliféréentre la mer et les hauteurs de la Bouzaréah ; cependantces autoroutes, conçues non plus au pied mais au sommetdes immeubles, avaient seulement un sens si l'ensemblehabitat—réseau routier était réalisé en une seule fois. Ils'agissait là aussi d'un système fermé, ne pouvant fonctionner que lorsque l'ensemble de ses éléments aurait étémis en service. La preuve de la supériorité de ce typed'urbanisme ne pouvait être faite qu'à la condition qu'ilsoit entièrement réalisé.Ainsi peut-on considérer la plupart des conceptionsglobales d'un nouvel urbanisme : la cité industrielle, laville radieuse, broadacre city, etc. comme autant deconceptions finies de villes, nées de zéro et ne trouvantleur signification qu'à leur achèvement mais inutilisablesen tant que ville pendant toute une période transitoire.

Seule parmi toutes ces grandes utopies, celle des «désurbanistes » soviétiques des années vingt, conçue commeune sorte de mise en viabilité géante de l'ensemble duterritoire, avait été imaginée par ses auteurs comme sedéveloppant au cours des années, à partir de points forts,et se substituant progressivement aux ensembles existants.Cette conception statique de la ville, née d'un actevolontaire et raisonné dans ses moindres détails, complète,finie, fermée sur elle-même et immuable, puisque correspondant à des besoins rationnellement établis, était unenouveauté certes (encore qu'elle continuait à une plusvaste échelle les utopies d'Alberti, de Campanella, deFourrier et d'autres). Elle n'en était pas moins en contradiction totale avec ce qu'est réellement un ensembleurbain.Pourtant l'idée qu'une ville était autre chose qu'uneordonnance fermée, autre chose que l'expression bâtie etle cadre d'un certain nombre de fonctions, avait étéavancée d'une manière cohérente dès le XIXème siècle.Que la spécificité de la structure urbaine. dérive de cqu'elle constitue un lieu privilégié d'intégration des conflits de l'histoire, les classiques du Marxisme,et particulièrement Engels, l'avaient prouvé sur l'exemple des villesindustrielles anglaises, produits et miroirs des luttes declasses des débuts de l'industrialisation. Dans «la questiondu logement » il avait mis à nu les racines de classe dudéveloppement urbain, indiqué que l'imagination utopiqueseule ne peut résoudre les problèmes réels et démontréque ce n'était pas par la solution des problèmes dulogement que l'on résoudrait la question sociale mais bienau contraire par la solution de la question sociale que l'onrésoudrait celle du logement. Cependant, ni Marx ni Engelsne pousseront plus avant l'étude des phénomènes urbainseux-mêmes. Ils ne les aborderont que comme un exempleparmi d'autres, leur permettant d'éclairer le rôle essentieldes luttes de classes dans le processus historique. Tant etsi bien que, pour tous ceux pour qui le marxisme ne

pouvait être autre chose que la répétition mécanique dephrases toutes faites, la conception marxiste des phénomènes urbains se réduisit, jusqu'à ces dernières années, àl'idée juste, mais de toute évidence partielle, que la villen'était rien d'autre que le reflet statique des luttes dontelle était le lieu.Le mérite essentiel du livre d'Alain Medam noussemble justement résider en ceci qu'il a poussé plus loinl'analyse, l'amenant jusqu'aux limites au-delà desquelleselle semble pouvoir devenir opérationnelle et servir,comme pour Marx la philosophie, non plus seulement àexpliquer le monde mais à le transformer.C'est que la ville n'est pas seulement le reflet descontradictions sociales existant à un moment donné.Versailles n'est pas que l'expression architecturale de lamonarchie absolue ; à côté de ce Versailles là, ou plutôt àl'intérieur de ce même Versailles, il en existe un autre enperpétuelle transformation qui, dans l'agencement de sesrues, dans l'organisation de ses pôles d'attraction, dansl'occupation de tel ou tel espace par tel ou tel groupe, seremodèle sans cesse à l'image de ses conflits internes.Ainsi la ville, et au-delà de la ville la région, ne peuventêtre comprises que comme la transcription dans l'espaceaménagé des luttes qui s'y déroulent, des conflits d'intérêts dont elle est l'enjeu, des spéculations et des profits,des conquêtes et des ségrégations.Il s'agit là de tout autre chose que de ce que peutapporter une analyse urbaine élémentaire, même fondéesur l'histoire. Il ne s'agit plus, en effet, de retrouver, dansla typologie urbaine, les marques d'un certain équilibredes forces sociales existantes au moment où la ville a prisses caractéristiques essentielles ; de constater l'empreintecirculaire que les remparts de la ville du Moyen Age ontlaissée et, partant de là, de l'expliquer par la sociétéféodale, ou, par la société industrielle du début duXIXème siècle, de classer un coron minier. Il s'agit, dansles villes actuelles, de comprendre, d'analyser, d'interpré-

ter le sens du combat des forces en présence, d'en saisirles effets sur l'organisme qu'est la ville, d'en appréhenderles caractéristiques non seulement sur le plan social,économique et politique mais dans le domaine qui estcelui de l'aménageur : dans le domaine spatial.Alors la ville ne sera plus conçue comme un ensemble minéral de rues, de places, de maisons banales ou demonuments essentiels, mais comme un organisme quasivivant, complexe et délicat qui, non seulement reflète unéquilibre de forces sociales précaire mais qui, aussi, du faitde son existence physique, conditionne cet équilibre et leremet perpétuellement en question.Quoi de plus éloigné de la ville-objet définitive, finieet fermée sur elle-même, qui résulte des utopies sociales ouarchitecturales, que cette ville réelle, multi-cellulaire, enperpétuelle rénovation ? N'est-ce pas à la lumière de cetteconception-là que l'on comprend l'échec de l'urbanismecontemporain dans la mesure où il a, la plupart du temps,programmé ses réalisations non pas sur des analyses de laréalité mais sur une idée préétablie d'une certaine organisation urbaine, voire d'un certain cadre de vie, cadre devie ou organisation qui ne faisait que figer dans le bétonet dans l'acier un certain rapport de forces fluctuantes etprovisoires ?N'est-ce pas pour avoir ignoré ou méconnu cetteréalité des phénomènes urbains, pour avoir introduit dansl'urbanisme la soi-disant «théorie » de l'absence de conflits dont on sait le mal qu'elle a causé à la culturesoviétique, que l'urbanisme dans les pays socialistes, etparticulièrement en U.R.S.S., semble être resté bien endeçà des espoirs que l'on pouvait mettre en lui pendantl'éphémère printemps culturel des années vingt ? Peu degens se souviennent aujourd'hui que Staline, dans sonomniscience, avait, bien avant de s'attaquer aux problèmesde la biologie et de la linguistique, émis quelques avisdéfinitifs sur les phénomènes urbains. C'est lui qui avaitétendu à l'urbanisme, dans une de ces «généralisations

théoriques » dont il avait le secret, la soi-disant théorie del'absence de conflits, théorie reprise à l'époque par l'undes «théoriciens » de l'architecture soviétique, M.P. Tzapenko :«Les antagonismes qui existaient avant entre lesdifférentsquartiers de la ville ont été éliminéspar la nature mêmedurégime socialiste. La répartition même des lieux de résidence des travailleurs dans les villes de l'U.R.S.S. a depuislongtemps perdu tout caractère prémédité. C'est ainsiquela structure sociale des villes s'est transformée dans lesconditions du régime soviétique. Le problème de la liquidation de l'antagonisme centre-périphérie doit être considéré dans la société socialiste victorieuse comme un problème de reconstruction aussi bien du centre que desanciennes banlieues».Imaginant, ou plutôt prétendant croire, que cettesociété sans conflits et sans contradictions internes existaitréellement, dénonçant la sociologie comme bourgeoise etinutile, le pouvoir soviétique a édifié un environnementurbain impressionnant par son ampleur mais qui démontre, à l'évidence, l'erreur fondamentale qu'il y avait àcroire que les conflits internes de la société capitalisteferaient place, sans transition, à une situation non conflictuelle sur le plan urbain.Or, n'aurait-il pas été possible, là-bas mieux qu'ailleurs, d'utiliser la connaissance des processus internes duphénomène urbain pour agir sur la réalité, non en la niantmais en l'orientant, en la guidant, en la stimulant, enintroduisant dans le tissu urbain des germes de nouveauqui, de proche en proche, auraient déclenché comme unprocessus en chaîne ?Aujourd'hui l'architecture à colonnes de l'ère stalinienne a fait place à l'architecture «technico-fonctionnelle » de notre époque mais à Moscou, comme à Parisou à Londres, les problèmes demeurent. Il n'a pas suffi denier l'attractivité des centres pour que ceux-ci cessentd'être attractifs, de dire que désormais les différentes

catégories socio-professionnelles se répartiraient dans laville d'une manière non préméditée pour que les intellectuels, les techniciens, les cadres acceptent de gaité decœur l'exil dans des banlieues lointaines qui, pourtant,«objectivement », comportent les équipements de basethéoriquement nécessaires et suffisants pour tous.«Les villes sont faites pour poser des problèmes »affirme Alain Medam. Sans doute l'auteur ne le prend-ilpas à la lettre, mais qu'elles en posent semble être unevérité d'évidence. Ces problèmes peuvent-ils être résolus ?Imaginer qu'ils le soient totalement un jour par uneinvention et une réalisation urbanistiques qui, créant uncadre approprié à des besoins clairement posés, supprimeraient les problèmes une fois pour toutes, ne peut êtrequ'une vue de l'esprit; un rêve fondé sur l'idée de lamarche progressive vers un idéal de perfection qui un jourdonné serait atteint !Pourtant, l'analyse interne des phénomènes du développement urbain que propose l'auteur semble, d'unecertaine façon pouvoir se concilier avec l'image éternellement poursuivie et éternellement modifiée de la «citéidéale » terminée et définitive.La part volontariste dans le développement des villesva croissant. La part spontanée tend à diminuer. Si,plutôt que de voir l'image de ville projetée par lesspécialistes, comme un but précis à atteindre et à réaliseren dur, on admet de la considérer comme une orientation politique, comme un jalon provisoire, alors laconnaissance de phénomènes urbains, de leurs mécanismesintérieurs, peut cesser d'être un simple objet de recherchepour devenir un instrument de transformation, un outil auservice des «aménagés », devenant, à leur tour, «aménageurs ».On sait aujourd'hui que l'implantation d'un équipement, d'une autoroute, d'un centre commercial représenteplus que la simple construction et que la mise en servicede cet ouvrage. On sait que cet équipement a des effets

induits, que l'autoroute elle-même, que le centre commercial, agiront, en leur temps, sur le milieu urbain, yprovoquant des transformations que l'on ne qualifiait despontanées que par méconnaissance de ces phénomènes.Est-ce à dire qu'une telle conception de l'urbanismesoit suffisante et qu'il faille abandonnerdes revendicationsavancées de longue date comme celle de la libre disposition des sols ou de l'urbanisme, considéré non pluscomme un art de la mise en forme mais comme l'un desaspects de la planification nationale ? Il va de soi quenon. Mais il importe de bien voir que pour être nécessaires ces conditions sont loin d'être suffisantes ; l'exempledes pays socialistes est là pour le prouver. Car ce qui estle plus frappant, dans l'exemple des pays socialistes, cen'est pas ce qui, souvent, tirel'œil du profane :les marquesencore visibles d'une économie édifiée dans la pénurie. Cequi est le plus frappant c'est que, malgré leur régimeéconomique, social et politique, malgré l'appropriationcollective des moyens de production et d'échange, malgréla nationalisation du sol, la suppression du profit capitaliste et malgré l'économie planifiée, les villes des payssocialistes et des pays capitalistes tendent de plus en plusà se ressembler dans leurs solutions techniques mais aussidans leur expression architecturale.N'est-ce pas la preuve que la libre disposition du solet la planification économique, pour être nécessaires, nesont pas suffisantes pour créer un urbanisme d'un typenouveau, à la fois expression et moule d'une sociéténouvelle ?Qu'a-t-il manqué ? Quelles autres conditions auraientété nécessaires à la naissance de cet urbanisme qu'annonçaient pourtant les précurseurs des années vingt ? Oncommence à peine à étudier ces problèmes mais on peutpourtant imaginer que si la société socialiste n'est pas lasociété sans conflits de la légende stalinienne, alors cesconflits ont nécessairement une implication directe surl'organisation et le développement des villes. N'est-ce pas

de la négation de cette réalité qu'est née l'idée que, dèslors qu'existaient les «conditions nécessaires », la villepouvait être pensée dans sa totalité et à partir de zéro pardes techniciens qui —en toutes circonstances —ont tendance à devenir des technocrates, à ne pas connaître ou àétouffer les manifestations de la volonté des masses dontla pression directe sur la ville est par ailleurs niée ?Peut-on imaginer que les réformes économiques, souventenvisagées à l'Est, puissent s'accompagner d'un assouplissement de la rigidité centralisatrice de la planificationurbaine ? Peut-on suivre Alain Medam lorsque, à lalumière des événements de mai et juin 1968, il évoque unvéritable pouvoir urbain transféré peu à peu par l'autogestion à des urbanistes engagés dans une action révolutionnaire et permettant effectivement de poser l'urbanismecomme anticipateur ?. Un tel degré de conscience pourra-t-il être jamais atteint ? Les événements de Mai ontmontré que les prises de conscience pouvaient être extrêmement rapides chez les usagers, c'est-à-dire les habitantsde villes, mais aussi chez les techniciens chargés del'élaboration du cadre de vie. Dans un domaine où pourcertains technocrates l'ordinateur peut prendre la relèvedes hommes, la Ville-Censure d'Alain Medam ouvrira desperspectives nouvelles.Anatole KOPP

Chapitre 1L'ESPACE ET L'ETABLISSEMENTIl est banal de considérer une ville à la fois commeune matérialité physique et comme l'organisation, plusabstraite, d'une certaine réalité sociale et économique.Cette apparente banalité pourrait introduire pourtant àdes réflexions fécondes si on recherchait, de façon plusattentive, ce qui, d'une réalité sociale et économiqueabstraite, parvient à se transcrire dans la matérialitéphysique de la ville ; ce qui, également, depuis cettematérialité physique, peut être déchiffré et reconstitué desa réalité sous-jacente.Le spectacle qu'offrent les villes, les discours qu'ellestiennent à leurs visiteurs, à leurs habitants, sont desspectacles ou des discours matérialisés, nécessairement, encertains signifiants : immeubles, usines, monuments, rues,quartiers, jardins publics, centres de vie sociale ou centresd'affaires. Ces signifiants —comme il en est d'ailleurs dessignifiants de tout discours —ne rendent pas compte, dansune première observation du moins, de la richesse et de lacomplexité des réalités latentes qu'ils expriment. Il résidedont, ici, une sorte de processus de déformation etd'appauvrissement de la réalité sociale, économique, politique de la ville, dans cette mesure même où cette réalité

est tenue de s'exprimer, de se transcrire, en une certainematérialité immobile.La stratification de l'espaceLe développement d'une ville ne se réalise jamaisdans un espace neutre, homogène, indifférencié. Cet espace a déjà enregistré, en toute époque de l'histoire de laville, les traces de ses dynamiques antérieures. Marqué,comme un corps peut être marqué par une histoire, ilreste pourtant ouvert à l'enregistrement de nouveauxévénements. La dynamique des villes ne résulte donc pasde la seule confrontation d'énergies politiques, sociales,économiques, qui s'y rencontrent temporairement. Elledérive aussi de leur commun affrontement sur un espacedéjà soumis, lui-même, à son passé. L'espace urbain, quiconstitue un système d'accumulation et de fixation delogiques dépassées, s'identifie à la fois aux dimensionscorporelles et à la mémoire des villes. Il semble y avoir,ici, adéquation entre la structure accumulée d'une mémoire et la structure accumulée d'une matérialité physique.Il peut advenir que les causes explicatives de certainsévénements importants pour la ville aient disparu, sesoient modifiées, sans que la ville puisse oublier, en samémoire physique, que ces événements ont eu lieu. Lanouvelle dynamique de l'urbanisation devra donc s'exercersous les contraintes d'un espace-mémoire, dont la mémoire est obsédante ; cette dynamique dérivera de conflitspour la mainmise sur un espace dont l'organisation serasignifiante aussi de conflits dépassés. Que la ville seprésente comme une matérialité où s'inscrivent, en mêmetemps, les aventures actuelles d'une société et les tracesd'aventures antérieures, cela tendra à la rendre inapte à latranscription claire des signifiés du moment. Une tellestratification rend la morphologie urbaine de moins enmoins lisible. Les signifiés urbains, par exemple certainsconflits sociaux, de nouvelles vocations économiques, denouveaux projets ou de nouveaux besoins ressentis par les

citadins, constituent alors une ville demeurant mal exprimée sous le couvercle de la ville manifeste ; une villelatente et mouvante, masquée sous les structures durciesde la ville construite.L'encombrement de l'espace matériel de la ville—investie, en quelque sorte, par la présence de sonpropre passé —condamne donc cet espace à une certaineopacité. Comme par un phénomène de surimpression, lavision de la réalité urbaine actuelle se trouve brouillée parl'enchevêtrement de successives matérialités physiquesconservées en mémoire. Un décriptage des signifiés urbainss'avérera nécessaire et il devra être conduit au travers d'unspectacle signifiant confus qui intègre dans la ville leprésent au passé.De cette façon se réduit de plus en plus la disponibilité de l'espace à la formulation, à la manifestation, detoute nouvelle réalité. En dépit des apparences, en dépitde l'extraordinaire accroissement matériel des villes, l'espace urbain devient toujours plus rare, toujours plus exigu.Que l'on s'entende : ce seront les parties les plus convoitées de l'espace de la ville —celles dont on verra qu'ellesdisposent, précisément, des plus hautes valeurs signifiantes —qui deviendront les plus rares. La hausse ininterrompue, incontrôlable, des valeurs foncières dans les centres urbains, constitue la preuve la plus immédiate decette progressive exiguïté.Il n'est, en réalité, guère surprenant que la partie laplus ancienne d'une certaine structure signifiante —enl'espèce, la partie la plus ancienne, souvent la plus centrale, d'une ville —en soit la partie la plus encombrée,enchevêtrée, mais aussi la plus attractive, la plus désirée.L'espace urbain est, en ces endroits, porteur de couchesaccumulées de vestiges signifiants : d'où son congestionnement, d'où, cependant, son exceptionnelle richessesémantique.Certes, l'espace manifeste de projection dans lequelon verra s'investir la nouvelle réalité urbaine —nouveaux

modes de production ou nouvelles forces productives― s'avérera, de cette façon, vieilli, répulsif, déformé.Toutefois, dans le même temps, cet espace sera uniquepuisque - par l'épaississement de sa valeur signifiante - ilse révélera exclusif, toujours plus, de tout autre espace desubstitution. Il résultera de cette contradiction que l'espace urbain, les signifiants matériels de la ville, opposerontune force de résistance considérable à toute nouvellemanifestation de la réalité socio-économique. En effet,cette réalité urbaine latente devra se projeter dans ununivers manifeste déjà fortement occupé, «habité ». End'autres termes, les vagues de l'urbanisation, les énergiesdu développement économique, auront à se combattre età se condenser pour parvenir à s'investir dans la ville. Elleauront à passer par le chas d'une aiguille lorsqu'ellesvoudront s'approprier les séquences les plus effectivementsignifiantes de la matérialité urbaine.L'espace de projection de la ville manifeste exerceraainsi une action de refoulement sur ces diverses énergieset c'est par le travers, seulement, d'une reconstitution decette action que pourra se retrouver la dynamique de laville latente. Dans l'écriture de la ville manifeste, il faudraretrouver les mécanismes de ce refoulement.Les immeubles, les quartiers, les rues d'une ville,rendent certes compte —en la forme de signes matériels —de relations qui s'y établissent, notamment entredes hommes et des capitaux. Ils traduisent surtout ladynamique de leur affrontement dans un espace signifiantexigu. La forme urbaine fournira, ainsi, un message toujours appauvri de ce qu'aura pu vouloir dire la ville ; sessymboles ne pourront guère exprimer la totalité des désirset des échecs qui s'y trouveront contenus. Les spectaclesdes matérialités urbaines brouillent et condensent lestermes des réalités sur lesquelles elles se trouvent édifiées.Les belles architectures et les beaux quartiers peuvent êtredes jeux plastiques qui —loin d'inciter à la recherche de

la réalité urbaine —en proposeront des images faussées parla seule prise en compte de faux-semblants.Le langage des signes urbains, si l'on s'en tient ainsi,à une observation rapide, renverra difficilement à lacomplexité de ce qu'ils expriment. Considérés hors de leurcontexte, certains signifiants de la ville pourront conduireà des erreurs manifestes d'interprétation ; le seul voisinagede quelques quartiers agréables pourra suggérer une imagetrompeuse de la réalité. Il pourra en dériver quelqueoptimisme quant à la qualité de certaines de ses améliorations récentes. On aura toutefois noté là des faits d'expérience apparente, des messages superficiels, sans avoirélucidé les liens que chacun des signifiants entretient avecses multiples implications : comment ces quartiers, parexemple, se sont établis ; sous quelles conditions decompétition foncière ; par quels effets de ségrégationsociale ; au prix de quels sacrifices consentis par leshommes ?On peut ainsi considérer que réside toujours, dans lespectacle de tout espace urbain —jusque dans le spectaclecruellement impudique des faubourg ouvriers, des ghettoset des bidonvilles —un indice de réalité inconnue qui,pour un signifiant observable, laisse inaccessible, opaque,l'existence d'un réseau complexe de significations latentes.Certes, c'est dans cette mesure où il y a toujours excès designifié sur les signifiants que les symboles et les matérialités de la ville construite appauvrissent la réalité urbaine ;dans le même temps, ils en rendent pourtant partiellementcompte.L'urbanisme apparaît donc, dès ici, comme unenécessaire méthode d'interprétation. Il devra éviter deretenir les signifiants de la ville pour eux-mêmes. Il luiappartiendra de reconstituer une réalité cachée, de dépas-

ser l'observation passive de faits d'appréhension immédiate. Plus profondément, puisque dans l'espace des villes,un passé brouillé mais obsédant se présente comme unematérialité présente déformée, il lui faudra procéder à lareconstruction des réalités sociales, économiques, politiques, mythiques, spéculaires, qui se trouvent sous-jacentesà cette matérialité ; discerner les conditions logiques de ladéformation d'événements majeurs, par un espace danslequel subsistent seuls des vestiges signifiants condensés etdifformes, enchevêtrés et disparates.La polysémie des signifiants urbainsUn code n'est pas une langue. Par la richesse sémantique de ses signifiants, grâce à leur valeur polysémique(chaque signifiant renvoyant à de multiples signifiés possibles), grâce à l'utilisation métaphorique de ces signifiants,une langue renvoie, tour à tour à plusieurs mystèressignifiés. Une langue est portée par son propre discours etles signifiés que cernent —de façon complexe, diffuse,ambiguë, subtile —ses signifiants, restent toujours partiellement inconnus et latents.A l'inverse, un code est différent d'une langue car—par un souci d'efficacité pratique —ses propres signesont pour seul objet de transcrire, terme pour terme, desréalités signifiées bien circonscrites et bien précises. Lecode agira donc sur les signifiés afin de les normaliser, deles débarrasser de toute ambiguïté, de les transformer enchoses tangibles traduites aisément ensuite en quelquesmots bien fonctionnels.Or, la matérialité signifiante de la ville s'identifie à lastructure polysémique et aux mystères d'une langue. Ellene saurait être réduite au fonctionnalisme d'un code ni,par conséquent, être comprise comme telle.Si les signifiants urbains appauvrissent les réalitéssocio-économiques qu'ils signifient, en effet, c'est qu'ilscontraignent ces réalités à se condenser en eux, et la

richesse polysémique des signifiants en résulte. Le moded'appauvrissement serait tout autre (et est tout autre,d'ailleurs, dans les applications de prétendus urbanismesfonctionnels) s'il devait s'agir, au contraire, de mutilervolontairement la réalité signifiée au bénéfice d'une matérialité urbaine dépourvue d'équivoque. Par la réduction dela richesse polysémique serait recherchée —dans un butnon avoué, bien sûr —une sérialisation et une réificationde la société dans la ville.En fait, dans une ville bien vivante, bien touffue etbien réelle —à Paris, Londres, Tokyo, à Moscou,New-York ou Amsterdam —les signifiants urbains conservent tout leur mystère. Ils contiennent tous de multiplesimplications signifiées auxquelles leur délicate interprétation renvoie seule.Par exemple, lorsque la forme bâtie d'une ville s

mis en service. La preuve de la supériorité de ce type d'urbanisme ne pouvait être faite qu'à la condition qu'il soit entièrement réalisé. Ainsi peut-on considérer la plupart des conceptions globales d'un nouvel urbanisme : la cité industrielle, la ville radieuse, broadacre city, etc. comme autant de

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