Rétrospective - Lyc-fragonard-isle-adam.ac-versailles.fr

RétrospectiveComment s’articule le regard rétrospectif avec le présent de l’exposition ?Le regard rétrospectif de l’exposition Pierre Huyghe tourne autour de la trace.En effet, il ne reste que des traces des œuvres d’origine. De l’Expédition scintillante, Bregenz, 2002, lebateau de glace fondant n’est plus, il ne reste que sa trace, un simple tas de glace, qui joue avec lamémoire. La glace rappelle simplement que ce bateau comme l’expédition ont eu lieu ; l’artiste n’a pasreproduit le bateau de glace. Et de son voyage en antarctique, il ne nous reste qu’une vidéo, une projectionsouvenir.Le bateau de L’expédition scintillante act 1 au Caixa Forum de Barcelone en 2011Le « climat » de glace dans l’espace extérieur à la galerie sud

Le tas de sable rose est la trace d’une autre exposition, celle de Hantai, où le rose était dominant, mais decette exposition il n’y a, ici et là, que des restes, des touches de rappel.Cette rétrospective ne vise pas à réitérer la même impression que lors des anciennes mises en forme maisde donner des traces des autres expositions.Si le rapport à la rétrospective ne s’active qu’autour des traces, c’est que logiquement, ce regard joue avecla mémoire. Notons par exemple les chaussures de danseuse, posées sur leur socle, traces et mémoired’une performance passée.Pour exemple, le Pong sur le plafond joue avec la mémoire collective, car ce jeu est un symbole pour touteune génération. Peut-être que cette œuvre ne touchera pas tout le monde, il s’agit de la mémoire d’unetranche de la population, les trop jeunes ne le connaissent pas et les plus vieux ne s’y intéressaient peutêtre pas. Cependant, on le sent tout au long de l’exposition, Pierre Huygue n’a pas la vanité de penser quetoutes ces œuvres toucheront tout le monde, il s’agit pour les spectateurs de vivre et d’évoluer autour dece regard rétrospectif, avec leur propre mémoire, d’être ou non sensible à ces œuvres.Blanche Neige Lucie, 1997 : cette œuvre joue avec la mémoire collective : il s’agit d’une vidéo interview deLucie, voix de Blanche Neige dans le célèbre dessin animé de Walt Disney. La mémoire collective serappelle bien cette fameuse mélodie ‘ Un jour mon prince viendra ’ Mélodie qui résonne ponctuellementdans cette vidéo, nous ramenant à notre mémoire propre, qui est aussi un souvenir commun.Sur ce thème de la mémoire, on peut observer une autre œuvre, n’étant pas présente à l’étage de cetterétrospective, mais au centre Pompidou dans l’exposition permanente au même moment. Il s’agit de TheThird Memory.The Third Memory, 2000, photogrammes du diptyque vidéo, image du Centre PompidouReprenant le film Sidney Lumet, Un après-midi de chien, le dispositif vidéo met en scène le fait divers bienréel qui a inspiré Lumet et son acteur dans la vie : John Wojtowicz, incarcéré en 1972 après une tentativeavortée de cambriolage de banque pour financer le changement de sexe de son compagnon. Le fait diversavait à l’époque des faits fit grand bruit, et le film qui s’en suit aussi.“C’est un homme qui a été volé de sa propre histoire, considère aujourd’hui Pierre Huyghe. Désormais,pour lui, la question est : comment se réapproprier son image après sept ans de prison ? Je lui ai doncdemandé de reconstituer, selon son seul souvenir, le braquage de la banque qui lui coûta sa liberté. Saufque ses souvenirs personnels se sont mélangés à la fiction montrée par le film de Sidney Lumet. Je l’aidonc filmé dans des décors reconstitués à Stains, faisant ce qu’il se rappelle avoir fait. Une mémoiresubjective qui fait de lui le narrateur, l’acteur principal et le metteur en scène du film. Ce qui m’intéresse,c’est le déplacement qui s’est effectué entre sa mémoire réelle, sa mémoire fictionnelle et sa mémoireidéalisée : ce dont il aimerait se souvenir. Pourquoi n’aurait-il pas le droit d’en faire quelque chose demagique ?”Ainsi donc le rapport à la mémoire est un thème primordial pour Pierre Huygue, que ce soit la mémoirepersonnelle, ou bien collective, dans tous les cas, il est question de mémoire, de trace, et de ce qu’elleactive ou réactive.Il s’agit d’une rétrospective, il est donc naturel qu’il y a un lien avec le passé, lien fort nous l’avons vu, avecla trace et la mémoire.

De quelle manière ces œuvres passées sont-elles réactivées ou altérées par la scénographie et parcertaines formes performatives ?J’ai de moins en moins envie de faire une ‘exposition’. Mais j’ai dans l’idée que quelque chose se passe, seforme : une situation, nous dit Huyghe pour sa rétrospective. Il refuse de guider la promenade dansl’exposition par des explications, de tracer un parcours préconçu : c’est à chaque spectateur, ou plutôt‘témoin’ de choisir de faire son chemin, d’évoluer avec les choses dans ce lieu.Ainsi, on peut avoir la sensation d’un labyrinthe qui bouge, évolue, nous laissant de grandes libertés.Photo du Centre PompidouDans notre groupe, chacun voyageait à sa guise, à tel point que certains ont pu voir ce que d’autres nevoyaient pas, parfois simplement pour n’avoir pas été présents en même temps que les petitsévénements : certains ont vu la patineuse.Cette évolution fait la singularité de ce que l’on voit, ce que l’on vit comme une expérience personnelle : onne voit jamais deux fois la même chose. (Et même si l’on veut regarder la même vidéo deux fois de suite,cela ne sera jamais pareil : on entend dans une salle le son des autres salles, par exemple)L'espace étant justement organisé pour évoluer par lui même, être en somme, organisé pour ne pas l’être,pour laisser le spectateur vivre et évoluer avec ce lieu, le lieu évoluant lui-même, comme les êtres vivantsqui le peuplent.En effet, ce labyrinthe n’est pas dépendant du spectateur. Le lieu évoluera sans le spectateur de toutefaçon ; la disposition du lieu, les abeilles, la tortue, « LE chien », les performeurs vivent et agissent, sans sepréoccuper du spectateur.Cet espace est donc réfléchi ou replié en lui-même, un monde en soi ; en un mot, l'exposition est réfléchiecomme une hétérotopie, et la circulation se fait donc comme celle de Human, le chien : elle n’est paspréconçue, pré-réfléchie, c’est le spectateur qui voyage à sa guise.La tortue devant les traces du ponçage du mur, photo par Loïs« Une constante évolution, l’exposition ne dépend pas de nous », explicite l’artiste.Certaines œuvres sont réactivées par la performance. Pierre Huyghe nous offre à voir un art vivant au senspropre du terme. En effet, la patinoire réactive cette trace de la glace, et la patineuse joue avec : il y a donc

bien une vie avec ces œuvres.Pierre Huyghe amplifiait déjà la vie des ruines, cela était déjà son langage auparavant : une ruched’abeilles greffée sur la statue abandonnée de Untilled incorporait une vie à ces ruines, aux espacesoubliés. De cette œuvre il reste la statue et la ruche présentes dans la rétrospective : les abeilles sur leséléments rapportés de cette œuvre sont bien vivantes (quoique un peu endormies par le froid.), ellesréactivent l'œuvre par leur vie : il ne s'agit pas de simples photographies de l’œuvre, ni même de la statueavec la ruche morte, il s'agit véritablement de vraies abeilles, déplacées au musée.Untilled à la « Documenta 13 » de Cassel en 2012Untilled au Centre PompidouHuygue ne pense pas qu'une œuvre reste intacte avec le temps : à l’instar du vivant, elle change au gré desconditions nouvelles (on peut d'ailleurs observer sa sensibilité avec les fourmis, êtres petits mais quichangent en quelque sorte la face du monde, qui l’altèrent. Les insectes, symbole de mangeurs de restes,de morts, du pourri, de l’oublié, qui sont mis ici sur le devant de la scène.)Ainsi les œuvres sont réactivées par la vie qui s'y écoule au sens propre du terme : il y a vraiment desperformeurs, une réelle patineuse en chair et en os, un vrai chien, quoique possédant une patte rose, il estréellement en vie.Mais comme une pièce à deux faces, la volonté de faire un art vivant nécessite l’altération de certaines

œuvres, en retour, par la scénographie qui crée une nouvelle situation où elles évolueront.Par exemple, il restait d’une ancienne performance une paire de chaussures de danseuse, posées sur leur‘socle’, à la manière des statues. Trace d’une performance passée, cette paire de souliers dorés reste inerteet chosifiée, mais, rappelée dans l’imaginaire, ou dans la mémoire de ceux qui savent de quelleperformance elles sont issues, elles ne sont pas « réduites » à de simples traces ; pour autant, l’œuvre estaltérée et délivre un autre potentiel d’associations mentales.On peut aussi noter l’éphéméréité de certaines œuvres. En effet, notons le tas de sable rose qui disparaitraau gré des pérégrinations des spectateurs, qui se dispersera et ne sera plus, ou comme toutes ces œuvresprésentes qui s’altèreront logiquement avec le temps, puisqu’il est question de vie, et tout ce qui vitchange, se transforme, pour ne finir finalement, qu’une trace.Le parcours, la scénographie, devient donc une part importante pour la rétrospective. On peut appréciercette disposition peu conventionnelle pour une rétrospective. Ce lieu est devenu bien plus qu’un lieumuséal, il est devenu, le temps de cette rétrospective, grouillant de vie, où les œuvres évoluent, amplifiées,réactivées, résonant les unes sur les autres, ouvertes à de nouvelles associations, à l’image de la mémoire.Coline, TL

Sur ce thème de la mémoire, on peut observer une autre œuvre, n'étant pas présente à l'étage de cette rétrospective, mais au centre Pompidou dans l'exposition permanente au même moment. l s'agit de The Third Memory. The Third Memory, 2000, photogrammes du diptyque vidéo, image du Centre Pompidou