L'innovation Technique à Genève - UNIGE

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1 L’innovation technique à GenèveL’innovation technique à Genèveà l’époque de la première industrialisation(1750-1850) : discours, attitudes et enjeuxRené SIGRIST1Ms. reçu le 9 décembre 2019, accepté le 12 février 2020z RésuméEn se centrant sur l’histoire de la Société des Arts, le présent article analyse les attitudes des Genevois de la période 1750-1850face à l’innovation technique. Au-delà des pétitions de principe en faveur du perfectionnement des sciences et des arts, ilrévèle le conservatisme d’un groupe de savants majoritairement issus de l’élite patricienne locale. Il décrit le souci des artisans,notamment des maîtres horlogers, de défendre une éthique de la qualité face aux tentatives de mécaniser et de standardiserleur appareil de production. En toile de fond sont abordées la question des difficultés de la collaboration entre classessociales et celle des limites des transferts de techniques. Pour terminer, l’article évoque la lente diversification sectorielle quiaccompagne la marche de l’économie genevoise vers une production de type industriel.Mots-clés : innovation technique, perfectionnement des Arts, première industrialisation, Genève, 18e siècle, 19e siècle.z AbstractFocusing on the history of the Arts Society (Société des Arts), this article analyzes the attitudes of the Geneva population inregard to technical innovation. It first records the scholars’ discourse about the perfecting of sciences and arts and shows thecraftsmen’s will, especially among the master watch-makers, to defend an ethos of quality against the attempts to mechanizetheir production devices. The limits to collaboration between social classes, and the conservatism of a group of scholars fromthe patrician elite, are also recalled. The study finally shows the difficulties, and sometimes the uselessness, of technologicaltransfers, as well as the slow diversification of manufactures driving Geneva’s economy towards industrialization.Keywords: technological innovation, improvement of arts and crafts, first industrialization, Geneva, 18 th century,19th century.A partir du milieu du 18e siècle se développent àGenève, comme dans bien d’autres endroits, desdiscours sur le « perfectionnement des sciences etdes arts » dont témoignent les programmes et lesrapports d’activité de la Société des Arts, les éditoriaux de la Bibliothèque Britannique et certainescélébrations académiques comme les « Promotions ».Au-delà de quelques éléments à valeur universellecomme la référence au progrès, ces différents discours comportent des accents spécifiques liés à desparticularités locales tant du point de vue social etculturel qu’économique. On voit ainsi les savantsgenevois, qui tiennent la plupart de ces discours,se méfier d’un système manufacturier susceptiblede bouleverser les fragiles équilibres sociaux de laCité et n’accorder à l’industrialisation sur le modèleanglais qu’une attention de curiosité. On les voitmettre en œuvre une action pédagogique et socialequi évoque la mentalité calviniste traditionnelle biendavantage qu’une stratégie d’approche des problèmestechniques qui soit fondamentalement scientifique1et innovante. Les corporations pour leur part, volontiers dénoncées pour leurs routines et leurs maniesdu secret, ne sont pas toutes hostiles à la nouveauté.Les horlogers en particulier y adhèrent, pour autantque le perfectionnement aille dans le sens d’une qualité accrue des ouvrages et des conditions de production : ils refusent par contre une innovation qui seraitsynonyme de standardisation ou d’augmentation dela concurrence. Dans la Genève proto-industrielled’avant 1850, la conception dominante de l’innovation technique, et la formulation des enjeux qui luisont liés, reflète donc assez largement les équilibressociaux et les rapports de domination du moment. Sapratique fait ainsi l’objet de transactions complexesentre une élite de savants majoritairement issus dupatriciat et certaines corporations très structurées,comme celle des horlogers. Les uns comme les autrescherchent avant tout à préserver leur statut et leurmode de vie : ils ont donc des pratiques du perfectionnement les arts relativement prudentes et mesurées,à défaut d’être toujours consensuelles.René Sigrist, rue Edmond-Bille 18, CH-3960 Sierre, Suisse. archives des SCIENCES Arch.Sci. (2020) 71: 1-22

2 René SIGRIST z Les origines d’un discours sur leperfectionnement des arts (c. 1700-1750)Il est difficile de dire à quand remonte la banalisation à Genève de l’idée de progrès des sciences et desarts. Jusqu’en 1670 dans tous les cas, l’orthodoxiecalviniste a perçu comme une dangereuse menacetoute nouveauté philosophique, qu’elle soit ramiste,cartésienne ou même copernicienne. Il s’en est suivi,dans l’enseignement dispensé à l’Académie de Calvin,une période d’accommodement progressif avec le cartésianisme et le doute méthodologique. Ceci aboutitvers 1700 à la formulation d’un calvinisme rationnel etlibéral consacrant la clarté du raisonnement géométrique et la philosophie naturelle comme fondementsde toute éducation éclairée, valable pour les pasteursaussi bien que pour les magistrats ou les futurs médecins2. La perception d’un progrès intellectuel confusément ressenti comme menaçant fait alors place àla célébration des conquêtes des sciences et des arts.En témoigne ce préambule de 1713 aux registres de laSociété des Médecins de Genève :z « Les arts et les sciences, ayant repris comme une nou-velle naissance dans les deux derniers siècles, ont faitde très grands progrès tant par l’amour que les princesont témoigné aux savants que par les récompensesconsidérables dont ils ont eu soin d’animer leur zèle. Le17e siècle s’est signalé par une infinité de belles et utilesdécouvertes dans l’histoire de la nature, et l’on a trouvépour ainsi dire un nouveau monde dans la Physique, lesMathématiques et l’Astronomie »3.L’innovation technique à Genève Et ce qui est vrai pour l’Académie des sciences deParis vaut aussi pour les Sociétés royales de Londres,de Berlin et de Montpellier et d’autres encore. C’estpourquoi les médecins de Genève n’ont pas hésité àfaire appel à la protection de leur gouvernement :z « Et pour arriver à suivre ce projet, le sage Magistrat, quifavorise toujours les établissements utiles, et qui a uneattention particulière à tout ce qui peut contribuer aubonheur du peuple soumis à son gouvernement, a bienvoulu autoriser cette Société par son approbation, et enlui assignant un lieu public pour tenir ses assemblées »5.En offrant à la Société des Médecins un local à l’hôtelde ville, le Magnifique Conseil de Genève se donnaiten effet la possibilité d’émettre des recommandations. En l’occurrence, il incita fortement cette société à se préoccuper des moyens de combattre lesépizooties, preuve, s’il en fallait une, que dans sonesprit comme dans celui du public éclairé, scienceacadémique, médecine, agriculture et arts utilesmarchaient alors de concert.Dans la première moitié du 18e siècle, on voit aussis’esquisser, du côté des Beaux-Arts, un discours surle perfectionnement des Sciences et des Arts, notamment à propos d’un projet de création d’une Ecole dedessin. En 1732, le juriste Jean-Jacques Burlamaquiadresse ainsi aux Conseils de Genève un « Projet ettablature » dans lequel est évoquée l’étroite relationentre Beaux-Arts et Arts utiles :z « L’on peut considérer l’établissement d’une Ecole pu-Pour les médecins de Genève, ce progrès trouve sonexpression, et son moteur, dans les gazettes littéraires telles que le Journal des Sçavans, et plusencore dans les sociétés de savants telles que l’Académie des sciences de Paris. Ils affirment, à proposde cette dernière :z « L’on peut assurer que cet établissement a tiré enquelque façon de l’enfance l’histoire de la nature, etqu’au lieu des connaissances peu sûres et mêlées de beaucoup de fables que l’on avait auparavant, nousavons acquis un grand nombre de faits certains etd’expériences sur lesquelles on peut compter avecconfiance »4.23456HEYD 1982 ; PITASSI 1992.« Histoire de la Société des Médecins de Genève commencéele 26 oct. 1713 et approuvée par Nos Seigneurs du PetitConseil le 20 déc. 1713 » (Musée d’Histoire des Sciences deGenève, Z 258, p. 1).Idem, p. 2.Idem, p. 3.Cité par BUYSSENS 2008, p. 66-67 (souligné par nous). archives des SCIENCES blique de dessein sous deux vues différentes : ou pourformer des dessinateurs et des peintres, ou seulementpour donner aux jeunes gens qui se destinent aux artsmécaniques les principes du dessein, qui peuvent servirà perfectionner ces mêmes arts. C’est principalement etproprement sous cette seconde vue que la commissiona examiné la proposition d’établir dans cette ville uneclasse publique de dessein, conformément à l’intentiondes Conseils, et dans la pensée que c’est surtout cecôté de la proposition qui intéresse notre ville »6.Au-delà de la volonté de former des dessinateurs etdes peintres, et de répandre la pratique des BeauxArts, c’est bien le perfectionnement des arts méca niques qui est recherché. Développant son idée,Burlamaqui affirme en effet que l’amélioration de lamaîtrise du dessin sera utile pour « les arts les pluscommuns qui se bornent à l’intérieur de notre ville[ ], comme la taille des pierres, la charpenterie, lamenuiserie, la serrurerie, etc. ». Elle sera plus utileencore, poursuit-il, au perfectionnement des manufactures, c’est-à-dire à « l’horlogerie, la gravure, l’orfèvrerie, la manufacture de galons d’or et d’argent,celle des toiles peintes, et autres ». L’enjeu est doncla prospérité de ces manufactures « considérablesArch.Sci. (2020) 71: 1-22

René SIGRIST L’innovation technique à Genève en elles-mêmes, qui occupent un grand nombre de Citoyens et d’Habitants, et dont les ouvrages sontportés chez tous les peuples de l’Europe, et s’y débitent avec succès ». Autrement dit :plus puissants peut-être, étendent des guirlandes defleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pourlaquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leuresclavage et en forment ce qu’on appelle les peuplespolicés. Le besoin éleva les trônes ; les sciences et lesarts les ont affermis »11.z « Il est sans doute de la dernière importance pournotre ville de ne rien laisser en arrière de tout ce quipeut contribuer au perfectionnement de ces manufactures, et par conséquent beaucoup augmenter notrecommerce, en donnant une nouvelle réputation à nosouvriers et à leurs ouvrages »7.La future Ecole de dessin devra donc « donner auxjeunes gens qui se destinent aux arts mécaniquesles principes du dessein, qui peuvent servir à perfectionner ces mêmes arts ». A terme, il s’agit de doterGenève d’émailleurs et d’artisans graveurs capablesde satisfaire le goût croissant des contemporainspour certains produits de luxe, et de rattraper le retard des artisans locaux en matière de savoir-faireartistique. Un retard que l’on a souvent relié, à tortou à raison, à l’interdit calviniste sur les beaux-artset le luxe8.En concrétisant, en 1751 seulement, ce projet d’Ecolepublique de dessin, les Genevois ont quand même misdu temps à reconnaître l’importance prise, depuis laseconde moitié du 17e siècle, par la peinture sur émail,la bijouterie et la gravure dans l’économie locale.Ils réalisent enfin l’inconvénient pour les artisans locaux d’être obligés d’aller se former à Châtellerault,à Paris, en Angleterre, ou pire encore dans l’Italiepapiste. Une fois encore, il ne s’agit pas seulement dedessin d’après nature, « en prenant la figure humainepour modèle », ou de dessin pittoresque « au naturelou chimérique » : les cours dispensés par la nouvelleécole comprendront aussi le dessin mathématique « àla règle et au compas ». En 1778, la Société des Artsétablira sa propre « Ecole de dessin d’après nature »,où l’on fera également un grand usage de moulages9.Elle mettra aussi sur pied des cours d’ostéologie etde myologie, qui seront assurés par le chirurgien etnaturaliste Louis Jurine, et, avec bien plus de succèsencore, des cours de chimie dispensés par le pharmacien Pierre-François Tingry.Pour conclure sur cette première période, il est intéressant de mettre la création de l’Ecole de dessin deGenève en regard du Discours sur les Sciences etles Arts publié l’année précédente par Jean-JacquesRousseau, ce « citoyen de Genève » mal vu dans sapatrie10. Au premier niveau de lecture, ce discoursapparaît en effet comme une violente mise en causede l’utilité des lettres, des sciences et des arts :En réalité, Rousseau excepte les savants académiciens à la Newton de cette condamnation, qui porteavant tout sur les « demi-savants » et plus particulièrement la vanité et les frivoles spéculations desgens de plume. Mieux vaut être, dit-il, un bon artisan qu’un savant ou un intellectuel médiocre, car« Tel qui sera toute sa vie un mauvais versificateur,un géomètre subalterne, serait peut-être devenu ungrand fabricateur d’étoffes »12. Dans la Préface auNarcisse ou l’Amant de lui-même (1753), Rousseau ajoute que l’homme « est né pour agir et penser, et non pour réfléchir » (§ 31), affirmation quinécessite quelques nuances, vu qu’il y a « quelquesâmes privilégiées capables de résister à la bêtise età la vanité, à la basse jalousie et aux autres passionsqu’engendre le goût des lettres », âmes auxquellesil convient de réserver l’exercice de l’étude (§ 32).D’où cette double affirmation : « La science prised’une manière abstraite mérite toute notre admiration. La folle science des hommes n’est digne que derisée et de mépris » (§ 18). Rousseau en arrive ainsià formuler ce paradoxe, bien dans sa manière : « lesarts et les sciences, après avoir fait éclore les vices,sont nécessaires pour les empêcher de se tourneren crimes » (§ 34). Et cette conclusion logique, maisnéanmoins surprenante :z « Mon avis est donc, et je l’ai déjà dit plus d’une fois,de laisser subsister et même d’entretenir avec soinles académies, les collèges, les universités, les bibliothèques, les spectacles et tous les autres amusementsqui peuvent faire quelque diversion à la méchancetédes hommes et les empêcher d’occuper leur oisiveté àdes choses plus dangereuses. Car dans une contrée oùil ne serait plus question d’honnêtes gens ni de bonnesmœurs, il vaudrait encore mieux vivre avec des friponsqu’avec des brigands » (§ 35).78910z « Tandis que le gouvernement et les lois pourvoient àla sûreté et au bien-être des hommes assemblés, lessciences, les lettres et les arts, moins despotiques et archives des SCIENCES 3 1112Idem, p. 67.L’attitude face au luxe des Genevois des 17e et 18e siècles a faitl’objet d’une réévaluation très documentée par WALKER 2018.Voir les « Registres du Comité général », vol. I, années 1776 à1786, plus particulièrement la période de mai 1776 à avril 1780.A titre d’illustration des rapports ambivalents de Rousseauavec Genève, on lira avec intérêt la notice biographique queSenebier lui consacre dans son Histoire littéraire de Genèvede Senebier (t. III, p. 252-280), en particulier le jugementformulé à la fin de cette notice (p. 269-275) sur les défauts decaractère (et de méthode !) du grand écrivain.Discours sur les sciences et les arts, § 9.Idem, § 59.Arch.Sci. (2020) 71: 1-22

4 René SIGRIST L’innovation technique à Genève Fig. 1 : Frontispice du premier Programme de la Société des Arts de Genève (1776).Ces précisions ont-elles suffi à dissiper, dans l’espritde la majorité de ses lecteurs, l’impression généraled’une condamnation des sciences et des arts ? Probablement pas. Et ce d’autant moins que, comme tousses contemporains d’ailleurs, Rousseau associe plussouvent qu’il ne les dissocie les Sciences, les Lettreset les Arts ; les savants et les artistes ; les philosopheset les beaux esprits ; les connaissances humaines, lesétudes et les lumières. De sorte qu’en critiquant lesuns, ou les unes, il paraît nécessairement attaquerles autres.z Les premiers programmes et comptesest, comme pour la Société des Médecins, celui desgrandes académies européennes, alors même qu’ils’agit en réalité de créer une société d’utilité publiquedans le genre de la « Society for the Encouragementof Arts, Manufacture and Commerce » de Londres(1754), de l’« Ökonomische Gesellschaft » de Berne(1759) ou encore de la « Dublin Society for improving Husbandry, Manufactures and other UsefulArts » (1731)16. Saussure tient à ce rapprochementprestigieux : son Programme attribue en effet à« ces Compagnies savantes connues sous le nom général d’Académies » des finalités pratiques bien plus caractéristiques en réalité des sociétés d’émulation deDublin, Londres, Berne, et désormais Genève. Il écrit :rendus de la Société des Arts (1776-1792)z « Ce sont ces Compagnies, qui distinguent si avantageu-La fondation en 1776 de la « Société pour l’Encouragement des Arts et de l’Agriculture » va donnerune nouvelle caisse de résonnance à tous ceux quià Genève entendaient s’engager pour le perfectionnement des arts et pour la prospérité de l’économielocale13. Plusieurs historiens ont vu dans cette fondation une manière pour Horace-Bénédict de Saussure,son principal instigateur, de remédier à l’échec deson fameux Projet de réforme pour le Collège deGenève de 177414.Le premier Programme de la Société des Arts deGenève, manifestement dû à la plume de Saussure,lui assigne comme but général « l’encouragement desarts vraiment utiles », le « perfectionnement des Artset de l’Economie » et « l’encouragement des talentset de l’industrie ». Il y est aussi question de « donnerune nouvelle vie aux Sciences et aux Arts », de « fairegermer des talents en tous genres », d’« encouragerl’industrie », d’« exciter l’émulation » ou encore d’« alimenter le génie »15. En réalité, la Société accorderaune grande importance à l’enseignement des sciencesutiles (chimie, mécanique, anatomie) et à la diffusionde connaissances pratiques, ce qui justifie jusqu’à uncertain point le parallèle avec le projet de réformedu Collège. Quoi qu’il en soit, le modèle revendiqué archives des SCIENCES sement nos temps modernes, qui ont donné une nouvelle vie aux Sciences, aux Lettres et aux Arts. Ce sontelles qui ont fait germer dans notre Europe les talentsde tout genre, encouragé l’industrie, excité l’émulation,alimenté le génie, perfectionné l’esprit d’observation,ouvert les routes qui conduisent aux vérités de la nature,ployé ces vérités aux besoins toujours renaissants dela Société, et produit une multitude de découvertesthéoriques et pratiques, qui ont enrichi de plus en plus lefonds précieux des connaissances humaines, et donné ànotre siècle une supériorité si décidée sur les siècles quil’ont précédé »17.Les sciences et leur influence stimulante sur les artset l’industrie occupent donc le cœur du discoursélaboré par Saussure au nom de ses savants collègues. Ceci n’empêche pas d’ailleurs le frontispice dece premier programme de regarder dans une autredirection, puisqu’il évoque bien davantage l’agricul1314151617Sur cette société et son rôle dans le perfectionnement des artsutiles à Genève, voir WENGER 2018.MAGNIN & MARCACCI 2001. VAN AKEN 2001.Programme de la Société des Arts de Genève, p. 1 (unique).CANDAUX & SIGRIST 2001, p. 432-433.Programme de la Société des Arts de Genève, p. 1 (unique).Arch.Sci. (2020) 71: 1-22

L’innovation technique à Genève René SIGRIST 5 ture (fig. 1). On peut s’en étonneren considérant le caractère urbainde la petite République de Genève.Ce serait oublier un peu vite qu’uncertain nombre de patriciens parmiles plus engagés dans les activités dela Société des Arts étaient des propriétaires terriens ou des agronomesplus ou moins sensibles aux thèsesphysiocratiques18.Le thème de l’utilité des sciencesdans le développement des arts etles progrès de l’agriculture va devenir la colonne vertébrale de tousles programmes et rapports ultéFig. 2 : Frontispice du premier Précis sur l’origine, le but et le régimerieurs de la Société des Arts, avec àde la Société établie à Genève pour l’encouragement des Arts et dechaque fois des nuances caractérisl’Agriculture (1778). On y relève la devise EX UTILI LABORE VERAtiques du rédacteur impliqué. DansGLORIA.le « Précis sur l’origine, le but et lerégime de la Société » de 1778, lepasteur Salomon Reybaz reprend ainsi la référence tiplier les ressources de l’industrie », de « féconderconvenue aux Académies, tout en insistant plus par- l’industrie », d’« appeler tous les nouveaux genresticulièrement sur l’apport des Sociétés d’émulation : d’industrie qui peuvent se naturaliser chez nous », de« favoriser les établissements utiles », et bien entendude « soutenir et accréditer nos fabriques déjà étaz « [ ] si les sciences spéculatives sont recommandables,c’est surtout quand elles se rapprochent de l’homme enblies ». Le frontispice du « Précis » représente d’ailse pliant à ses usages et à ses besoins, et qu’il n’y a rienleurs le couronnement de l’inventeur, en soulignantdans la société qui soit plus digne d’une protection ouque c’est l’utilité pour le travail qui constitue la vraieverte, active, étendue que tout ce qui peut contribuersource de toute gloire (fig. 2). Mais l’insistance deà l’avantage du plus grand nombre. L’établissementReybaz sur l’approche pédagogique n’est pas moinsdes Compagnies lettrées a été favorable aux Arts parforte, comme en témoigne la volonté qu’il exprime dele rapport nécessaire qu’ils ont avec les Sciences. Mais« créer une émulation universelle », de « réveiller leil était réservé à nos jours de voir naître des Institutionsgénie des Arts et de l’Agriculture », d’« encourager lesqui eussent uniquement les Arts pour objet. Le siècletalents », de « susciter une émulation profitable auxdernier semble s’être proposé la gloire de l’espritArts », ou encore d’« exciter l’esprit des Artistes auxhumain ; celui-ci travaille pour le bien des hommes »19.observations et aux découvertes »20. Comme dans leProgramme de Saussure, la pédagogie et l’émulationOn notera que le document ne se réfère guère à l’ap- sont donc présentées comme des valeurs centrales deport des sciences à proprement parler, même lorsqu’il la Société des Arts, et elles resteront tout au long des’agit de « porter les Arts à leur perfection », de « mul- la période qui nous intéresse.181920Parmi ces propriétaires terriens agronomes ou agromanes, onpeut citer Nicolas de Saussure (1709-1791), le père d’HoraceBénédict, mais aussi Michel Lullin de Châteauvieux (16971781), François Gratien Micheli (1705-1785), André Naville(1709-1780) et Paul Gaussen (1720-1806) pour l’anciennegénération ; Guillaume-Antoine Maurice (1750-1826), MichelMicheli de Châteauvieux (1751-1830), Charles Jean MarcLullin (1752-1833), Charles Pictet de Rochemont (1755-1824)et Michel Jean Louis Saladin (1756-1844) pour la nouvelle.D’autres individus comme Jacob Frédéric Lullin (1772-1851) ouMarc-Antoine Fazy (1778-1856) prolongeront ce mouvementjusqu’au milieu du 19e siècle.« Précis sur l’origine, le but et le régime de la Société », inMémoires de la Société des Arts et de l’Agriculture, t I/1,1778, p. 1-6, ici p. 2.Dans la suite du document, il est question et de « joindreles lumières du dehors à celles que nos propres recherchespourront fournir ». archives des SCIENCES Une autre considération introduite par Reybaz, etqui sera reprise par Senebier dans son Histoire littéraire de Genève (1786), est celle de la faiblessedes ressources naturelles des environs de Genève,une faiblesse qui pousse au développement des artsutiles. En effet, dit-il, le territoire de la République,« heureusement très borné, ne laisse à ses habitantsque les ressources qui naissent des talents et de l’industrie ». Ce proche du parti des « Représentants »en profite pour évoquer des difficultés sociales quiétaient absentes du Programme rédigé par Saussure :z « Le prix des choses nécessaires à la vie augmente sanscesse ; et, par des raisons assez sensibles, la proportionentre les besoins et les moyens de subsistance s’altère,au préjudice des ordres inférieurs de la Société. Ainsi,Arch.Sci. (2020) 71: 1-22

6 René SIGRIST l’inégalité des fortunes tend à s’accroître et l’indigencesemble devoir presser toujours plus le peuple, soit dansles villes, soit dans les campagnes » 21.L’innovation technique à Genève dont l’anonymat est aussi facile à percer que lesprécédents, s’ouvre par une pique qui vise peut-êtreRousseau, mais peut-être aussi le gouvernement réactionnaire de 1782 :Par conséquent, les Genevois sont appelés à devenirplus industrieux que jamais, avec le concours deleurs concitoyens les plus riches :z « Le goût des paradoxes a fait mettre en question siles Sciences et les Arts avaient été véritablement utilesau Genre humain ; de quelque manière qu’on veuillerésoudre cet étrange problème, toujours sera-t-onforcé de convenir qu’au degré de civilisation où sontparvenues les Sociétés, la somme des jouissances d’unPeuple, et sa considération chez les autres Peuples, semesurent à la somme de ses lumières et de son industrie » 25.z « Ses habitants ne devraient-ils pas faire tous leursefforts pour tirer le meilleur parti du sol qui les porte,et des Arts qu’ils ont en main ? Ne devraient-ils pastendre tous les ressorts de leur industrie pour conserverdu moins un niveau qu’ils perdraient sans elle ? Et leCitoyen distingué par sa fortune ou par ses lumièrespourrait-il mieux faire que de contribuer de tout sonpouvoir à faire fleurir leurs travaux ? »22Un autre thème inédit qui apparaît dans ce « Précis »est la nécessité pour Genève de surnager dans unenvironnement de compétition internationale :z « Au milieu de cette activité générale, qui se déploye surAfin de développer et de perfectionner les artsutiles, Senebier insiste plus que jamais sur le rôledes sciences et des Académies, et donc sur l’intérêtd’une étroite collaboration entre savants patentés etartistes, comme Saussure et Pictet l’avaient fait avantlui, mais non le pasteur Reybaz, qui n’était ni savant,ni patricien :tous les objets de l’industrie, et qui a donné depuis peunaissance à un grand nombre d’Associations formées enFrance, en Suisse, en Allemagne, et jusqu’en Espagne,un Etat qui resterait en arrière se verrait bientôt punide son inertie par sa décadence ; une rivalité fataleappauvrirait son commerce, ses manufactures ; et laprospérité de ses voisins s’établirait enfin sur sa ruine »23.En 1780, c’est au tour de Marc-Auguste Pictet derédiger une « Introduction », destinée au second demi-volume des Mémoires de la Société des Arts24.Il y insiste sur la pédagogie et sur l’instruction quepeuvent apporter aux artistes la nouvelle Ecole dedessin d’après nature, mais aussi le « Cours gratuit dechymie » dispensé par Pierre-François Tingry, ainsique les « Leçons de Méchanique appliquée à l’horlogerie » qu’il donne lui-même. Au nombre des moyensmis en œuvre par la Société pour atteindre ses objectifs de promotion des inventions, de stimulationdu commerce et de recherche de la prospérité nationale, il évoque à nouveau l’apport des sciences, et enparticulier les perfectionnements que la mécaniqueet la gnomonique peuvent apporter à l’horlogerie. Ildétaille à ce propos les principes de la construction,par l’astronome Mallet et par lui-même, d’une Méridienne du Temps moyen, un dispositif permettantde calculer le temps moyen à l’aide d’une courbe enforme de grand 8, et qui est d’ailleurs complété parun coup de cloche donné chaque jour à l’instant précis du midi moyen.z « Personne n’ignore combien les Compagnies savantesont facilité le progrès des Sciences : une Sociétéd’Artistes uniquement occupée du perfectionnementdes Arts leur serait sans doute avantageuse ; mais s’ilétait possible de réunir dans une même Compagnie lesSavants, les Artistes et ceux qui aiment ou qui estimentles Arts, et qu’une heureuse position met à portée deles favoriser, qui ne voit combien l’industrie serait plusefficacement encouragée ? En éclairant toujours lesArtistes, en les dirigeant quelquefois, en publiant lesrésultats précieux de leur travail, elle assurerait à leursproductions le succès et la célébrité dont la justiceet l’intérêt public exigent également qu’on les fassejouir »26.A partir de là, Senebier systématise les buts de laSociété en trois points, qui sont : « 1 l’instruction desArtistes ; 2 les moyens de les encourager et de créer,pour ainsi dire, de nouvelles branches d’industrie ; 3 des recherches particulières sur divers objets d’utilité publique en ce qui touche aux Arts ».27L’insistance sur la pédagogie artistique et scientifique prend chez le pasteur Senebier comme chezces prédécesseurs une coloration morale, pour ne212223En 1787, c’est au savant pasteur Jean Senebier qu’estconfiée la tâche de rédiger un nouveau Programmesignalant la reprise des activités de la Société desArts après cinq années de veille forcée pour causede suppression du droit d’association. Ce texte, archives des SCIENCES 24252627Idem, p. 2.Idem, p. 2.« Précis sur l’origine », p. 2.Mémoires de la Société des Arts et de l’Agriculture, t. I/2,1780, p. I-X.Programme de la Société pour l’Encouragement des Arts(1787), p. 1.Programme , p. 4.Programme , p. 8.Arch.Sci. (2020) 71: 1-22

René SIGRIST L’innovation technique à Genève 7 pas dire moralisante. Ceci n’empêche pas bien sûr laSociété d’Encouragement de jouer un rôle essentieldans la diffusion des beaux-arts aussi bien que desarts utiles28. Ceci dit, les thèmes de discussion de sesdifférents comités techniques (chimie, mécanique,agriculture, commerce, dessin) concernent principalement des questions pratiques, liées aux activitésartisanales, à l’économie agraire et domestique, à lamédecine et à l’hygiène. Ces thèmes concrets sontd’ailleurs symbolisés dans le frontispice de ce Programme, frontispice repris par de nombreux documents ultérieurs de la Société des Arts (fig. 3). Moinsfaciles à figurer, et peut-être moins visibles en effet,mais néanmoins révélatrice des préoccupations del’élite locale, sont les questions relatives à la gestionde la cité telles que l’approvisionnement en eau, lalutte contre les incendies, le ravita

transfers, as well as the slow diversification of manufactures driving Geneva's economy towards industrialization. Keywords: technological innovation, improvement of arts and crafts, first industrialization, Geneva, 18th century, 19th century. L'innovation technique à Genève à l'époque de la première industrialisation

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110 Gen. Medicine Dr. Sachin Yadav Assistant Professor 111 Gen. Medicine Dr. Manoj Aggarwal Assistant Professor 112 Gen. Medicine Dr. Rajinder Prasad Gupta Assistant Professor 113 Gen. Medicine Dr. Barnali Bhattacharya Sharma Assistant Professor 114 Gen. Medicine Dr. Umesh Lamba Sr. Resident 115 Gen.

Checklist. GEN.40502 Chain-of-Custody Procedures GEN.40503 Chain-of-Custody Records GEN.40504 Chain-of-Custody Acceptability Criteria GEN.40506 Secured Specimen Storage GEN.40507 Specimen Retention and Storage GEN.40509 Secured Records Removed “legal testing”

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