Entre Métaphore, Allégorie Et Symbole: Les Prophéties Animales .

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Entre métaphore, allégorie et symbole : les prophétiesanimales merliniennes dites “ romanesques ”Lise FuertesTo cite this version:Lise Fuertes. Entre métaphore, allégorie et symbole : les prophéties animales merliniennes dites “romanesques ”. 2016. hal-01622234 HAL Id: vertes.fr/hal-01622234Preprint submitted on 28 Oct 2017HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Entre métaphore, allégorie et symbole :les prophéties animales merliniennes dites « romanesques »Lise Fuertes-RegnaultLieux de l’allégorèse dans la littérature profane, les prophéties merliniennes exposéesdans les romans en prose du XIIIe siècle paraissent posséder un sens relativement clair pour lelecteur. Le bestiaire qui les compose a ainsi été qualifié d’ « allégorique », dans un sensrestreint du terme « allégorie »: celui d’un trope laissant aisément deviner son double sens. Sicette lecture s’applique bien au Lancelot en prose, roman matriciel du cycle Graal-Vulgate,elle doit être questionnée en ce qui concerne la Suite-Vulgate du Merlin, suite rétrospectiveintégrée au cycle, dans laquelle Merlin prophétise beaucoup ex eventu. Le degré d’ambiguïtédes métaphores animales dans l’exégèse de songe comme dans la prophétie proleptique se meten effet au service des choix poétiques d’un prosateur dont l’objectif principal confine auparadoxe: annoncer des événements souvent déjà connus par un lecteur averti tout enconservant à la prophétie son mystère et son caractère hermétique. La lecture herméneutiqueet le statut sémiologique du bestiaire prophétique merlinien dépendent donc non seulementdes échos entre des œuvres synchroniquement proches mais aussi de la réception des textescycliques par le lecteur médiéval ou moderne.IntroductionQui dit prophéties merliniennes comprend souvent Prophecia Merlini, c’est-à-dire lesprophéties dites « historiques » ou « politiques » que Merlin profère dans l’Historia RegumBritanniae, de Geoffroy de Monmouth1 ou la Vita Merlini, du même auteur. Lescommentateurs médiévaux et la critique moderne se sont beaucoup intéressés à ces prophétiesobscures à tonalité apocalyptique. Parfois qualifiées de « symboles », les figures animales quiémaillent ces vaticinations restent mal identifiées. Grâce à leur polysémie, elles s’adaptent àdifférents contextes politiques, tout au long du Moyen Âge.2En revanche, les prophéties merliniennes qui figurent dans les romans en prose duXIIIe siècle à partir du Merlin en prose (env. 1210) ont suscité moins d’intérêt,3 peut-êtreparce qu’elles recèlent un bestiaire moins nombreux et moins mystérieux que les prophétieshistoriques4 et semblent dotées d’un moindre pouvoir poétique. En effet, les reprises desprophéties merliniennes animalières par d’autres clercs dans le Lancelot en prose – Merlinayant disparu de la diégèse – ont été analysées comme « allégoriques »5, c’est-à-dire, dans unsens moderne et restreint du terme, se caractérisant par « l’univocité »6 de leur sens etl’identification aisée des personnages qui se dissimulent derrière les masques animaux. Al’inverse, le bestiaire diégétique, c’est-à-dire celui que les personnages rencontrent dans cetexte, reste mystérieux, plurivoque ou « symbolique ».71Geoffrey of Monmouth, The Historia Regum Britannie, a single edition from Bern, Burgerbibliothek, MS 568,edited by Neil Wright (Cambridge: D.S. Brewer, 1985), § 112-118, 74-84.2Catherine Daniel, Les prophéties de Merlin et la culture politique (XIIe-XVe siècles) (Turnhout : Brepols, 2007).3Paul Zumthor les cite sans les analyser: Merlin le prophète, un thème de la littérature polémique, del’historiographie et des romans (Lausanne: Payot, 1943, réimpr. Genève: Slatkine, 2000).4Nous avons comptabilisé onze espèces animales dans les prophéties proleptiques de la Suite-Vulgate du Merlin(dans l’édition citée infra), contre trente-trois dans l’Historia Regum Britanniae.5Jean-René Valette, La poétique du merveilleux dans le Lancelot en prose (Paris: Honoré Champion, 1998),352.6Ibid., 353.7Ibid., 352.1

Néanmoins, outre que la distinction entre symbole et allégorie reste problématique,voire anachronique, au Moyen Âge,8 une lecture des prophéties exposées en direct par Merlindans un texte aux enjeux poétiques particuliers, la Suite-Vulgate du Merlin,9 questionneencore cette séparation. Intégrée au cycle Graal-Vulgate dans certains manuscrits et composéeautour de 1235, soit après le Lancelot propre, la Queste del Saint Graal, et la Mort le roi Artu,cette suite rétrospective prétend en effet annoncer des événements avérés dans ces trois textes.L’enjeu de la prophétie merlinienne consiste donc à « prédire le passé »10 tout en ménageantle suspense pour le lecteur. Dans cette perspective, quels sont les apports essentiels del’alliance métaphore-symbole-allégorie dans les figures animales prophétiques à la poétiquedu texte et aux relations intertextuelles entre branches du cycle ?L’ambiguïté des différentes espèces métaphoriques contenues dans les exégèses desonges royaux (ou prophéties analeptiques tournées vers la révélation du passé)11 ainsi quedans les prophéties proleptiques (celles qui, proprement, annoncent le futur) semble varier enfonction de la portée du message prophétisé et de l’importance dans le cycle Graal-Vulgate dupersonnage concerné.Le destin des personnages mineurs et la gloire d’Arthur : des annonces dénuéesd’ambiguïtéLes songes concernant les personnages mineurs, c’est-à-dire ceux qui n’apparaissentque dans la Suite-Vulgate, ou les annonces d’une future action glorieuse du roi Arthur, secaractérisent par une relative clarté des référents des métaphores animalières. L’allégorie, ausens restreint que nous avons défini, mais aussi dans un sens plus général valable égalementpour la prophétie proleptique, semble alors caractériser ces annonces cryptées.Dans la Suite-Vulgate, le roi païen Flualis est ainsi l’objet d’un songe apocalyptique,qu’il relate lui-même ensuite à sa cour:« Il est voirs que je me dormoie en mon palais l’autre nuit et tenoie la roïne ki ci estentre mes bras, ensi come il me sambloit. Et endementres que je estoie en tel maniere vinrenta moi .II. serpens volans et dont chascuns avoit .II. testes. Si estoient grandes et hidouses amerveilles et issoit a chascuns fors de sa goule un grand brandon de fu qui tout alumoit de fumon païs. Et li uns des serpens me prist entre ses piés parmi les flans et li autres prist la roïnequi entre mes bras gisoit et nous porterent tout en haut desor le sonmet de mon palais qui moltestoit haus. Et quant il nous orent la portés si nous esraçoient les bras et les quisses des cors etle jeterent tout contreval l’un cha et l’autre la. Et quant il nous orent ensi desmenbréschascuns des .IIII. menbres, .VIII. petis serpentiaus vinrent tout maintenant et prist chascunsun menbre et s’envolerent atout la sus en haut desus le temple Dyane et depecierent illoques8Voir à ce propos Armand Strubel, “Grant senefiance a”. Allégorie et littérature au Moyen Âge (Paris: HonoréChampion, 2002), 8.9Nous étudions ici la version cyclique intitulée Les Premiers Faits du roi Arthur, dans Le Livre du Graal I,édition publiée sous la direction de Philippe Walter, texte établi par Irène Freire-Nunes, traduit, présenté etannoté par Anne Berthelot et Philippe Walter (Paris: Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 2001).10Nous empruntons cette expression à Richard Trachsler, “ Vaticinum ex eventu ou comment prédire le passé.Observations sur les prophéties de Merlin”, Francofonia, 45 (2003), 91-108. La prophétie ex eventu est délivréeaprès les événements qu’elle est censée annoncer.11Conformément au sens étymologique du terme « prophêtés » (interprète d’un dieu), le prophète n’est passeulement celui qui prédit des événements du futur, mais aussi celui qui participe à « la révélation des chosessecrètes, passées ou présentes » et à « l’exhortation morale »: Mireille Demaules, La corne et l’ivoire: étude surle récit de rêve dans la littérature romanesque des XIIe et XIIIe siècles (Paris: Honoré Champion, 2010,Nouvelle Bibliothèque du Moyen Age 103), 351.2

nos menbres em pieces petites. Et li .II. serpent qui nous orent trait les menbres des cors sinous laissierent desus le palais en haut et bouterent fu dedens le palais et arsent nos cors etmisent en cendre. Et li vens le prist et l’aqueilli et le porta par toute la terre decha la mer, neonques n’i demorast bone vile ou il ne demourast ou petit ou grant. Icele fu la vision que je vien mon dormant. »12L’interprétation d’un songe se caractérise par son « urgence sans prix »,13 tant sondéroulement reste mystérieux aux yeux du rêveur, surtout lorsqu’il est de sang royal. Celui-cisait en outre par intuition que ce qu’il a vu possède un sens dont l’éclaircissement pourraits’avérer important pour son propre destin, et d’un point de vue narratif, pour la suite duroman. Ce dernier critère explique que, dans la Suite-Vulgate comme dans le Lancelot enprose, des interprètes – Merlin ou ses épigones – s’empressent de donner à chaque songe unesenefiance.14Ce schéma récurrent illustre bien la possibilité d’une lecture allégorique du bestiaireonirique, ou allégorèse.15 Celle-ci est également induite par le roman arthurien en prose luimême. En prenant pour modèle l’Ecriture, il se revendique comme le lieu d’une transpositionprofane du sensus allegoricus, ou sens spirituel appliqué aux textes sacrés. Celui-ci devientalors un « sens littéral figuré ».16 Le songe est bien l’élément caractéristique de la recherchede ce double sens, dans le but de pallier « l’incomplétude du sens littéral »17 ou le mystère del’avision du rêveur.En outre, sous un angle métadiscursif, le bestiaire merlinien des prophétiesanaleptiques et proleptiques relève de la métaphore.18 Cette dénomination s’applique aussi aubestiaire onirique dont le devin n’est a priori pas responsable, mais qu’il commente. Or, auMoyen Âge, la métaphore indique, comme son équivalent latin la translatio, un transfert desens. En tant que figure herméneutique, elle permet aussi de dépasser le sens premier oulittéral d’un texte, qu’il soit profane ou sacré.19En donnant lieu à une exégèse inéluctable et pourvoyeuse d’une clarté qui ferait sens,le bestiaire onirique semble donc bien doublement « allégorique »: doté d’un sens littéralfiguré, lui-même relativement clair pour le personnage et le lecteur. C’est en effet le cas dansl’exégèse du songe de Flualis que propose un Merlin devenu invisible:« Rois Flualis, entent la senefiance de ton songe : li .II. serpent que tu veïs en tondormant, qui .IIII. testes avoient et jetoient de toutes .IIII. fu et flambe, ce sont .IIII. roicrestien qui a toi marcissent qui metent ton païs en fu et en flambe. Ce que li serpent portoienttoi et la roïne desus le sonmerket de ton palais en haut, senifie qu’il auront en lor baillie touteta terre jusques as portes de ta forteresce. Ce que li serpent esraçoient les .IIII. menbres a toi eta ta feme senefie que tu deguerpiras la mauvaise loy qui el cors t’est enracinee et le jeteras audefors de toi pour venir a la creance Jhesu Crist. Ce que li .VIII. serpentel prisent les menbres12Les Premiers Faits du roi Arthur, § 744, 1556-1557.Demaules, La corne et l’ivoire, 333-336.14Voir par exemple le songe de Galehaut, que pas moins de dix clercs, dont Maître Hélie, ancien scribe deMerlin, interprètent: Lancelot, dans Le Livre du Graal II, édition publiée sous la direction de Philippe Walter,avec la collaboration d’Anne Berthelot, Mireille Demaules, et Jean-Marie Fritz (Paris: Gallimard, Bibliothèquede la Pléiade), partie Galehaut, § 5, 929.15Armand Strubel définit l’allégorèse comme « « tout ce qui relève de la lecture allégorique, de l’interprétation,dans la littérature profane » (Allégorie et littérature au Moyen Âge, 16).16Armand Strubel, “ Allegoria in factis et allegoria in verbis”, Poétique, 23 (1975), 355-356.17Strubel, Allégorie et littérature au Moyen Âge, 44-45.18Voir à ce sujet Moult obscures paroles. Etudes sur la prophétie médiévale, sous la direction de RichardTrachsler (Paris: PUPS, 2007), 8 et 188. Mireille Demaules (La corne et l’ivoire) emploie aussi ce terme pourdésigner les figures animales émaillant les prophéties merliniennes.19Gilbert Dahan, Lire la Bible au Moyen Age. Essais d’herméneutique médiévale (Genève: Droz, 2009), 264.133

de ton cors a force a toi et a la roïne et les porterent desus le temple Dyane, ou ti home serontfui a garant, ce qu’il depecierent tes menbres et le menbres de la roïne ta feme, senefie que tienfant qui sont ti menbre et ta char, seront ocis et decopé par armes dedens le templeDyane.[ ] Et ce que li serpent arsent le palais desus toi, saces qu’il ne te demouerra quivaille un sol denier de chose que tu aies de ceste mauvaise loy. Ce que tu fus ars, et toi et ladame ensamble, et mis en cendre et em poudre, senefie que tu seras lavés et mondés de tespechiés par l’aigue du saint baptesme. [ ] Or as oïes les visions que tu as veües en tondormant. Si t’en avenra ensi conme je t’ai dit. »20L’anaphore « ce que » scande les différentes étapes de l’exégèse, et réduit les dragons,ainsi que chacun de leur mouvement (pourtant très complexes), à des référents et à unesenefiance bien précise: quatre rois chrétiens imposeront par la force une conversion au roipaïen. Univoque et imposée par le personnage du prophète, cette exégèse se suffit à ellemême, puisque Merlin n’offre pas d’explication supplémentaire et disparaît aussitôt.L’éclaircissement complet du sens répond à trois raisons narratives et poétiques. Endonnant à un roi païen la senefiance de son songe, l’objectif de Merlin est que sa conversionsoit efficiente, donc que le songe qui l’annonce soit entièrement compréhensible pour le futurconverti. In fine, Merlin s’assure ainsi d’éliminer un adversaire potentiel du roi Arthur, ce quilui permet d’assurer son rôle de protecteur du jeune roi.La deuxième nécessité narrative concerne le statut de Merlin lui-même. Commelorsque Merlin impose une senefiance univoque aux dragons rouge et blanc de Vertigier, dansle Merlin en prose,21 il s’agit ici pour le prophète d’être reconnu, écouté et suivi dans sesprophéties, qui doivent donc être claires et non ambiguës. Il en va de sa propre réputation,encore incertaine dans ce texte et sujette aux railleries des opposants d’Arthur.Mais plus profondément, et en lien avec ces deux raisons, une nécessité poétique rendcompte de l’absence d’ambiguïté des référents des dragons. Le destin de Flualis peut êtrecomplètement dévoilé. En effet, la clarté ne nuit pas ici au mystère inhérent à la prophétie, nià l’obligation faite à la Suite-Vulgate de préserver un relatif suspense par rapport aux textesqui la suivent dans l’ordre de la diégèse, puisque le roi Flualis ne réapparaît pas dans leLancelot en prose.La gloire future d’Arthur est également prophétisée de manière assez claire. Lesfigures animales deviennent alors allégoriques, au sens restreint, puisque leurs référents selaissent aisément deviner, à condition toutefois d’avoir lu le cycle Graal-Vulgate dans le bonordre.Au début des Premiers Faits du roi Arthur, Merlin délivre ce segment prophétique apriori plutôt obscur:« Et quant la bataille sera finee, el sejour que nous ferons en la terre, sera li granslupars engenrés qui tant sera fiers et orguellous par qui crieme li grans dragons des IllesLointainnes se traira ariere du grant lyon couroné de la Bloie Bretaingne qui point de mal ne lifera et et si en aura bien le pooir, mais en la fin le justicera li lupars qu’il le fera ajenoullieraussi com pour merci crier devant le lion couroné. »22Pour les destinataires intradiégétiques de la prophétie, c’est-à-dire les rois alliésArthur, Ban et Bohort, le « grans dragons des Illes Lointainnes », le « grant lyon couroné de20Les Premiers Faits du roi Arthur, § 745-746, 1558-1559.Robert de Boron, Merlin, roman du XIIIe siècle, édition critique par Alexandre Micha (Genève: Droz, TextesLittéraires Français, 2000), § 30, 118.22Les Premiers Faits du roi Arthur, § 266, 1069.214

la Bloie Bretaingne » et le « grans lupart » conservent leur statut de symboles ambivalents,aux référents mystérieux. En témoignent leur réaction à l’écoute de cette prédiction : « Deceles obscures paroles que vous nous amentevés que nous ne savons que chou est, le nousdirés vous ? »23, et le refus de Merlin d’en dire plus.En ce qui concerne le lecteur, la situation est différente et influe sur l’ambiguïté desréférents. En effet, Patrick Moran a montré récemment que le sens de lecture du cycle GraalVulgate est très variable. Le lecteur médiéval ou moderne ont la possibilité de le lire dansl’ordre diégétique – c’est la lecture linéaire – ou dans le désordre, c’est-à-dire en établissantdes ponts à travers les textes (il s’agit de la lecture tabulaire) ou bien en entrant dans le cyclepar n’importe quelle œuvre – c’est la lecture modulaire.24 Un lecteur « linéaire », qui adécouvert en premier les figures animales du Merlin en prose, puis celles de sa Suite, et enfincelles du Lancelot en prose, risque donc de ne rien comprendre aux prophéties proleptiquesmerliniennes de la Suite-Vulgate, tout comme les personnages.A l’inverse, un lecteur a lu le Lancelot en prose avant la Suite-Vulgate, comme c’étaitle cas le plus souvent au Moyen Âge, reconnaît facilement le « lupart », puisqu’il désignetoujours Lancelot, dans le Lancelot en prose.25 De même, le « grans dragons des IlesLointaines » peut être aisément identifié comme étant Galehaut, dans la mesure où celui-ci estappelé, dans le Lancelot en prose, « li sires des Estranges Illes», variante des « LointainesIlles ».26 Enfin, il est aisé de comprendre que cette prophétie annonce la bataille entre Arthuret Galehaut, narrée dans le Lancelot en prose, à l’issue de laquelle Lancelot fait faire la paixaux deux belligérants. La similitude dans l’expression de la fin de la prophétie et de lareddition de Galehaut est en effet frappante :« mais en la fin le justicera li lupars qu’il le fera ajenouiller ausi com pour merci crierdevant le lion couroné »Galehols le voit, descent del cheval a terre et s’ajenoulle et joinst ses mains et dist :« Sire, je vous vieng faire droit de ce que je vous ai mesfait, si m’en repent et m’en met envostre merci outreement. »27L’événement annoncé correspond parfaitement à ce qui se passe dans les œuvresfutures dans l’ordre de la diégèse et le nom du personnage se substitue sans équivoque à lafigure animale. Les référents acquièrent donc un sens univoque, grâce à la mémoireintertextuelle du lecteur.Cette absence d’ambiguïté manifeste et participe enfin pleinement de la poétique de laSuite-Vulgate. En effet, Merlin prédit clairement l’une des victoires d’Arthur, dans le but defortifier encore la légitimité de son protégé, au seuil de son règne et de ses premiers exploits.La clarté du bestiaire livrant ce message glorieux et optimiste participe donc de l’atmosphèresereine de la Suite-Vulgate et de son objectif de recréation des « enfances », ou de la jeunesseguerrière de héros évoluant dans un « monde en éclosion ».28 En même temps, néanmoins,pour le lecteur linéaire, la prophétie reste suffisamment floue pour conserver un certainmystère et entretenir le suspense.23Ibid., § 267, 1070.Patrick Moran, Lectures cycliques. Le réseau inter-romanesque dans les cycles du Graal du XIIIe siècle (Paris:Honoré Champion, 2014), 332-355.25Lancelot, éd. Pléiade, partie Galehaut, § 45-47, 973-978.26Lancelot, éd. Pléiade, partie La Marche de Gaule, § 772, 780.27Ibid., § 562, p. 550.28Richard Trachsler, « Quand Gauvainet rencontre Sagremoret ou le charme de la première fois dans la SuiteVulgate du Merlin », in Enfances arthuriennes, textes réunis par Denis Hüe et Christine Ferlampin-Acher(Orléans: Paradigme, Medievalia 57, 2006), 213.245

Résolument fondée sur l’annonce des événements heureux et glorieux du règned’Artur et accentuant la valeur de ses victoires sur l’ennemi saxon ou sur ceux qui prétendents’opposer à lui, la Suite-Vulgate s’accommode alors mal d’une nécessité cyclique absolue:annoncer la mort du roi et la fin de son royaume. Comment l’ambiguïté des figures animalesqui conservent une dimension symbolique, ou équivoque, se met-elle au service d’unepoétique de l’incertitude dans l’annonce des fins dernières?Le destin du roi Arthur : une poétique de l’incertitudeLa Suite-Vulgate offre la relation d’un songe d’Arthur, qui met en scène un dragon etun ours, lors de sa traversée en direction de la Gaule :Et, en ce que li rois Artus se dormoit, li vint en avision un grans ours en unemontaigne. Et li venoit, ce li iert avis, uns grans dragons devers les nues d’orient qui parmi lagoule jetoit fu et flambe si trés grant et si trés merveillouse que tout le rivage enlummoitd’entour. Et asailloit molt vighoureusement cil dragons et li ours se desfendoit molt bien.Mais li dragons embraçoit l’ors et le craventoit a terre, ce li ert avis, et l’ocioit.29Issu de l’Historia Regum Britanniae et du Roman de Brut de Wace, ce songe constitueun exemple du « schéma agonistique » qui souligne la « fermentation d’un conflit à l’intérieurde l’âme du rêveur » et annonce un « combat à venir ». 30 Mais de quel combat s’agit-il etquels personnages se cachent derrière le dragon et l’ours ? Merlin semble l’expliquerclairement:« Sire, et je vous en dirai la senefiance. Li ors que vous avés veü senefie un grantmoustre, un gaiant qui est prés de ci en une grant montaingne, qui est es parties d’Espaingnievenus en ceste contree et s’est arrestés en ceste terre et le met a honte et a damage de jour enjour. Ne nus hom ne l’ose atendre pour la grant force qui est en lui. Le dragons que vousveïstes en vostre avision, qui jetoit fu parmi la goule si grant que toute la terre en reluisoit,senefie vous meïsmes qui par le fu de vostre hardement qui en vous est clers et reluisant debone grase. Et ce que li dragons assailloit lors si vigherousement senefie que vous assaudrésle gaiant qui assés vous metra en grant entente. Ce qui li dragons l’enbraçoit et le craventoit aterre senefie que li gaians vous embracera mais en la fin l’ocirés, de ce ne soiés en doutance.»31Toutefois, quelques détails ouvrent la possibilité d’une lecture différente de l’identitédes personnages dissimulés sous les masques de l’ours et du dragon. En effet, dans le Romande Brut, la provenance et les traits caractéristiques du dragon sont différents :D’autre part (Artus) veoit un dragonQui de vers occidant voloitEt de ses ialz flame gitoit ;De lui et de la resplendorReluisoit terre et mer antor.3229Les Premiers Faits du roi Arthur, § 762, 1575.Demaules, La corne et l’ivoire, 390.31Les Premiers Faits du roi Arthur, § 763, 1575-1576.32Robert Wace, Arthur dans le Roman de Brut : extrait du manuscrit BN fr. 794, introduction, notes et glossairepar Ivor Arnold et Margaret Pelan (Paris: Klincksieck, 2002), v. 2702-2706, 110.306

La provenance « de vers occidant » du « dragon » Arthur est logique, vu la situation dela Bretagne par rapport à la Gaule. Quant au trait positif des yeux dont la « flame » éclaire lemonde, ce qui signifie la puissance civilisatrice du roi, il renvoie sans ambiguïté possible à cepersonnage.Dans la Suite-Vulgate, en revanche, le dragon vient de « devers les nues d’orient »,comme d’ailleurs dans l’avisions d’un des clercs de Galehaut, dans le Lancelot en prose.33 Enoutre, il crache du feu, détail fortement ambigu, qui peut posséder la senefiance positive queMerlin énonce, mais aussi renvoyer à la destruction et au feu du dragon diabolique, parexemple celui du Perlesvaus, texte datant peut-être du début du XIIIe siècle.34Le dragon référerait alors à Mordret, le fils incestueux d’Arthur, dont la conception estracontée dans la Suite-Vulgate. 35 Cette lecture expliquerait à la fois la provenance du dragon,puisque l’orient peut être connoté négativement 36, et la substitution du feu du dragon à lalumière de ses yeux. L’ours désignerait le roi Arthur lui-même, en vertu de l’étymologie deson nom et parce que le « dragon » Mordret sera bien responsable de sa mort, dans la Mort duroi Arthur. Par conséquent, le songe annoncerait non pas le combat entre Arthur et le géant duMont Saint-Michel, qui aura néanmoins bien lieu ensuite dans la diégèse de la Suite-Vulgate,mais un événement plus important, quoique plus lointain: la bataille finale de Salesbières.En somme, la clarté génère l’obscurité et le bestiaire apparemment allégorique (ausens restreint) demeure en fait symbolique. Les connaissances intertextuelles du lecteur neservent plus ici à éclairer le bestiaire prophétique, mais, à l’inverse, à le rendre ambigu.Néanmoins, ce statut sémiologique équivoque sied bien à un texte d’ « enfances » et se metau service de ses enjeux cycliques.En effet, en accord avec la tonalité optimiste de la Suite-Vulgate et la désinvoltureavec laquelle elle présente la conception de Mordret, l’annonce de son destin funeste à Arthurest tellement dissimulée qu’elle n’a pas d’incidence sur ses actions immédiates. Le jeune roipeut ainsi s’attaquer au géant du Mont Saint-Michel et entreprendre son œuvre civilisatrice,sans être paralysé par la certitude de son destin tragique.D’un point de vue cyclique, en suscitant le doute du lecteur sur la réelle identité desdeux figures animales et en ouvrant la voie à la double interprétation du songe, ce procédépermet de conserver plus longtemps le suspense dans l’annonce du « passé » que constitue lamort du roi Arthur, pour le lecteur linéaire en tout cas. Les métaphores animales ménagentaussi le plaisir que le lecteur tabulaire ou modulaire éprouve à relire ce qu’il a déjà lu sousune forme différente37, en même temps qu’il garde le secret espoir que rien ne se passeracomme dans le passé.La richesse symbolique du dragon et l’ambiguïté de son référent culminent dans uneprophétie proleptique merlinienne, au service d’une incertitude encore renforcée sur la fin duroi Arthur. Suffisamment flou, l’énoncé prophétique ex eventu peut correspondre à plusieursévénements futurs, ce qui lui redonne une certaine nouveauté.33Deux dragons, l’un couronné, l’autre venu des « illes de Mer », s’affrontent. Or, le dragon couronné, qui figureArthur, vient « devers la partie d’Orient » (Lancelot, éd. Pléiade, partie Galehaut, § 39, 965-966).34Le Haut Livre du Graal (Perlesvaus), texte établi, traduit et présenté par Armand Strubel (Paris : LibrairieGénérale Française, Lettres Gothiques, 2007), 652-658.35Les Premiers Faits du roi Arthur, § 57-59, 868-871.36Francis Dubost, « La pensée de l’impensable dans la fiction médiévale », in Écriture et modes de pensée auMoyen Âge (VIIIe-XVe siècles), études rassemblées par Dominique Boutet et Laurence Harf-Lancner (Paris:Presses de l’Ecole Normale Supérieure, 1993), 57.37A la suite de Raphaël Baroni, Patrick Moran appelle ce plaisir la « curiosité » (Lectures cycliques, 340-341).7

Placée juste avant le segment prophétique qui annonce la paix entre Galehaut et Arthurgrâce au lupart Lancelot, cette prophétie semble annoncer le même événement, à l’aide desmêmes figures animales:« Et saciés que a vous et a els croist molt grant painne chascun jour que li gransdragons, ce dist la prophesie, venra chacier le grant lyon couroné de la Bloie Bretaingne touthors a l’aïde que il aura de .XXIX. serpenciaus qui sont a merveilles grant et fort, se li luparsqui tant sera grans et fors ne le desfent une partie pour l’amour qu’il aura a la serpentecouronee et a qui toutes les bestes de la Bloie Bretaingne et del roiaume de Carmelideaclineront, et une partie par grant fierté et par proece. Mais encore n’est il pas nés li granslupars par coi cil grans lyons sera soustenus que li grans dragons n’aura nul pooir de luichacier ne tant ne quant hors de sa conversacion. »38Là encore, grâce au « lupart » Lancelot, le « grant lyon » Arthur ne pourra être chasséde ses terres par le « grans dragons » Galehaut, malgré l’assistance de « XXIX serpenciaus »,métaphore de vingt-neuf rois dont ce dernier a conquis les royaumes. 39Néanmoins, deux autres interprétations ont été avancées. L’une fait référer le « gransdragons » à un personnage anecdotique, Ponce Antoine, légat de l’empereur de Rome,qu’Arthur affronte et vainc au début du Lancelot en prose.40 La seconde, plus pessimiste,l’identifie à Mordret. La prophétie annoncerait donc tout simplement la bataille finale deSalesbières.41 D’ailleurs, le prosateur de la Suite Post-Vulgate a peut-être lu de la mêmemanière cette figure métaphorique (et a peut-être aussi compris que le dragon du songedésignait Mordret). La mort d’Arthur et la destruction de son royaume y sont en effetannoncées comme les résultats de la méchanceté d’un grans dragons onirique, clairementassimilé au fils incestueux d’Arthur, grâce à la proximité du songe et de la conception deMordret.42 En vertu des choix poétiques de la Suite-Vulgate, la première lecture peut sansdoute être privilégiée, même si l’ambiguïté de la figure animale reste entière.Finalement, en tirant parti de l’élasticité du dragon, métaphore de personnages positifs,négatifs ou ambigus, et grâce à l’alliance de l’allégorie dans l’exégèse du songe et du symboledans la prophétie proleptique, le prosateur crée, par la voix de Merlin, une figure mystérieusede grans dragons, dont même une lecture tabulaire ou modulaire du cycle ne permet pasd’épuiser le sens. Par conséquent, alors que la Suite Post Vulgate dévoile crûment la futuremort d’Arthur, un voile translucide est ici jeté par le biais du bestiaire prophétique sur cetévénement encore inconc

2 Catherine Daniel, Les prophéties de Merlin et la culture politique (XIIe-XVe siècles) (Turnhout : Brepols, 2007). 3 Paul Zumthor les cite sans les analyser: Merlin le prophète, un thème de la littérature polémique, de l'historiographie et des romans (Lausanne: Payot, 1943, réimpr. Genève: Slatkine, 2000).

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